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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/145

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dernière, de sorte que l’entretien de Sylvia et de lord Athelstone avait presque tous les avantages d’un tête-à-tête. Au milieu de considérations à perte de vue sur les arts, Wilfred trouvait moyen de demander à sa voisine si, après cette vie enchantée qu’elle avait menée depuis l’enfance, libre de soucis, de devoirs, d’entraves mesquines d’aucune sorte, elle saurait s’accommoder d’une existence monotone à la campagne, en Angleterre, et elle déclarait, sans paraître comprendre où il voulait en venir, qu’elle ne connaissait d’insupportable que la paresse et l’inutilité, que la vie était vraiment belle par les affections, les goûts, les facultés intellectuelles, qui sont indépendantes des choses extérieures.

Lady Frances écoutait d’une oreille. Parfois elle mettait quelque malice à contrarier un projet de rencontre, un rendez-vous vaguement indiqué par Wilfred ; il lui restait dans l’âme un peu de dépôt et de méfiance; elle n’aurait pas voulu voir son amie tomber dans le piège comme elle. Un matin que, suivie d’un groom, Frances parcourait à cheval avec Sylvia la campagne de Rome :

— J’aurais quelque chose à vous dire, ma chérie, commença-t-elle d’une voix émue. Il est difficile d’aborder certains sujets sans paraître solliciter des confidences, ce qui est, je vous le jure, bien loin de ma pensée. Mais je vous sais si loyale, si dévouée!.. Peut-être seriez-vous capable de vous sacrifier par excès de délicatesse, peut-être craindriez-vous de me faire de la peine en vous abandonnant à un sentiment qui ne peut désormais m’affliger...

Sylvia ressentit une émotion secrète, car son amie touchait en ce moment à des scrupules qui l’avaient tourmentée en réalité.

— Croyez-moi, continua lady Frances, j’ai pu me faire autrefois de sottes illusions, mais aujourd’hui lord Athelstone m’est aussi indifférent que cela,.. — dit-elle en désignant du bout de sa cravache un berger qui dormait, étendu tout de son long, au soleil, — et, le jugeant bien, aucune considération, quoi qu’il arrive, ne me déciderait à f épouser.

Sylvia, toujours silencieuse, tenait ses yeux fixés sur l’horizon.

— Pourquoi? demanda-t-elle enfin.

— Parce que je ne lui reconnais aucune stabilité de caractère et que, tant qu’il vivra, il sera le jouet du moindre vent qui pourra souffler.

— Vous êtes sévère pour lui, chérie. Il est jeune,

— Très jeune, en effet, et c’est ce que je vous supplie de ne pas oublier. Gardez-vous de repousser son amour à cause de moi, car il est amoureux, cela saute aux yeux de tout le monde, mais ne l’agréez qu’après une épreuve sérieuse. Je vous avertis : c’est un homme sans principes et sans aucune suite dans les idées, un tempérament