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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/146

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de poète. Le mariage ne convient guère à ces tempéramens-là, prétend-on.

— Et l’on a peut-être raison, répliqua tristement Sylvia, dont les yeux se remplirent de larmes. — Je ne sais ce que me réserve l’avenir, poursuivit-elle, mais je n’oublierai pas votre conseil.

Les deux jeunes filles, d’un commun accord, partirent au galop, et jamais plus elles ne revinrent sur ce sujet délicat. Pendant les jours qui suivirent, Sylvia marqua une certaine froideur à Wilfred, une froideur qui le rendit très malheureux ; elle ne l’engageait plus à venir chez elle, ni au théâtre; elle évitait avec lui les conversations quelque peu intimes; c’était la ruine de ses espérances; il en avait eu beaucoup pourtant depuis un diner auquel sa mère avait invité les dames Brabazon avec les Bannockburn et l’évêque d’Oporto, dont l’opinion avait été singulièrement favorable à Sylvia, ce qui avait décidé de celle de lady Athelstone, un peu flottante jusqu’à ce qu’un pareil juge se fût prononcé.

Lady Porchester, présente à cette soirée, s’était montrée, il est vrai, moins bienveillante que l’évêque, ce qui s’expliquait, du reste, puisqu’elle aussi avait une fille à marier, et une fille fort laide. Tandis que Sylvia chantait, accompagnée par un jeune secrétaire d’ambassade, les stornelli que Wilfred aimait, cette vipère avait sifflé à l’oreille de lady Bannockburn :

— La société est terriblement mêlée à Rome; on y rencontre des gens dont jamais on n’avait entendu parler; cette femme noire, à figure tragique, par exemple, avec cette grande fille en costume théâtral...

— Parlez-vous des Brabazon? avait interrompu lady Bannockburn; elles sont de nos amies.

Lady Porchester rentra ses cornes :

— En vérité?.. Oh! puisque vous les connaissez, c’est différent. La toilette de la demoiselle est toujours si extravagante que, ne sachant qui elles pouvaient être, je supposais...

— Je suis en mesure de vous mettre au courant des moindres détails qui les concernent. Cette jeune personne extravagante, comme vous dites, aurait pu épouser, il y a cinq ans, si elle eût voulu, le duc de Marly.

Lady Porchester dressa l’oreille; elle comprenait enfin pourquoi l’on invitait Sylvia : une future duchesse peut-être...

— Mais, reprit lady Bannockburn, elle est extraordinaire, en effet, et ne veut se donner qu’à l’homme qu’elle aimera.

— En attendant on flirte ici, chuchota lady Porchester derrière son éventail; lord Athelstone n’est pas de ceux qui épousent, je suppose. On le dit bien immoral... Je serais fâchée, quant à moi,