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se rendre à l’hôtel où demeurait Sylvia. Il la trouva emballant ses esquisses.

— Tu viens me souhaiter bon voyage? dit-elle avec son doux sourire.

— Ah! signorina, s’écria le jeune garçon, se jetant devant elle d’un mouvement passionné,.. ne partez pas, ne partez pas,.. ou s’il faut que vous partiez, revenez bien vite.

— Oui, dans deux mois au plus...

— C’est bien long, deux mois...

Et Lorenzo se mit à pleurer.

— Tu es heureux chez ton maître? demanda Sylvia inquiète.

— Je serais heureux si vous étiez toujours là, répondit-il en soupirant.

— Tu sais bien que c’est impossible; enfin mylord est bon pour toi...

— Oh! oui, très hon, mais cela rend les autres domestiques jaloux, et puis je ne parle pas leur langue. La mère de mylord ne m’aime pas non plus.

— Ne te figure donc pas de pareilles choses. Fais ton devoir sans te préoccuper de ce qu’on pense de toi.

— Je ne peux pas m’empêcher d’être malheureux. Mylord est bien malheureux aussi!

— Mylord? que veux-tu dire?

— Il reste assis à rêver comme cela...

Et Lorenzo, contrefaisant son maître, ensevelit sa tête entre ses mains; puis, la relevant, il fixa sur elle ses yeux de charbon ardent qui prirent leur expression pénétrante et astucieuse, tandis qu’il ajoutait : — Je crains bien... — Mais il n’osa en dire davantage et s’arrêta brusquement avec un geste expressif.

— Que crains-tu?

— Je crains que, quand vous serez partie, il n’ait tant de chagrin, tant de chagrin qu’une autre signorina, quella biondina...

Elle l’interrompit avec une sévérité dont il n’eût jamais cru capable cette dame angélique.

— Tais-toi... tu ne sais ce que tu dis;.. je te pardonne pour cette fois, mais que cela ne recommence jamais, autrement je ne te connaîtrais plus.

Lorenzo essaya de protester ; elle sonna et lui montra la porte.


XX.

Elles étaient parties... Les journées se traînaient dorénavant pour Wilfred avec une lenteur désespérante, mais aucun être humain