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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/164

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Lorenzo obéit à cet ordre ; mais auparavant il épia son maître et le vit entrer chez un bijoutier de la via Condotti; à travers la vitrine, il le regarda choisir un médaillon en or. Une heure après, il l’avertissait que la signorina s’était dirigée du côté de la villa Doria.

Ce n’était pas la première fois que Lorenzo servait d’espion dans une intrigue d’amour; il avait fait son apprentissage à l’Apollon et savait comment se comportent les jaloux. Le souvenir lui revint donc d’un certain écrivain public auquel il dicta lestement trois lettres anonymes dans l’intérêt de sa chère dame absente : la première, adressée poste restante à Naples, qui suppliait Sylvia de revenir en toute hâte si elle ne voulait être supplantée par une rivale anglaise, laquelle se faisait reconduire la nuit et acceptait des bijoux; la seconde précisant les mêmes détails pour l’édification complète de lady Athelstone; la troisième, pleine de menaces et de nature, croyait-il, à l’empêcher d’agréer des hommages déjà offerts à une autre, était pour Nellie ; mais, ignorant le nom de famille de cette dernière, il remit à plus tard de la faire parvenir. Les deux autres furent jetées précipitamment à la poste.


XXI.

Si Hubert Saint-John, par égard pour les désirs de sa cousine et pour la réputation de celle qu’il aimait, s’interdisait maintenant d’aborder Nellie dans ses promenades, il ne laissait pas, quand l’occasion s’en présentait, de suivre la jeune fille à distance, savourant ainsi le plaisir de veiller sur elle sans être aperçu. La belle matinée printanière durant laquelle furent expédiées les lettres anonymes le trouva donc dans les jardins désignés par Lorenzo, guettant de loin les jeux des enfans sur le gazon émaillé de cyclamens et d’anémones, et surtout la svelte figure en robe noire qui se mêlait à ces jeux avec une gaîté de bon augure, pensait-il, tandis que sa voix claire et son rire joyeux arrivaient jusqu’à lui. Celle qui pouvait rire et s’ébattre ainsi dans l’innocence et l’expansion de son cœur, sous ce radieux soleil, ne devait pas être inconsolable. Saint-John se prit à espérer. Ce ne fut point pour longtemps ; le pas d’un cheval résonna sur le gravier, et les cris de joie des enfans saluèrent un jeune homme qui, sautant avec vivacité à terre, s’avança vers Nellie, très confuse, évidemment embarrassée. Il vit les mains de la pauvre fille s’abandonner un instant aux mains de Wilfred, il la vit secouer obstinément la tête, puis accepter cependant sur son instante prière un écrin enveloppé qu’il avait tiré de sa poche. De son côté, elle semblait supplier,.. qu’il s’en allât sans doute,.. car, d’un air d’hésitation et d’impatience, il finit par enfourcher son cheval et s’éloigner à regret, en se retournant plus d’une fois sous prétexte d’envoyer