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réduite en cette partie à une langue de terre fort étroite. La corvette ayant passé le long-de l’île de Waïtteke, vint s’engager sur des canaux alors inconnus, au travers d’iles hautes, accidentées, couvertes de forêts magnifiques, quelques-unes plus basses et tapissées seulement d’une verdure modeste, Makara, un Néo-Zélandais d’humble condition, fut le pilote qui, dans cette navigation délicate, déploya une adresse, une habileté, un sang-froid qui eussent vraiment fait honneur à plus d’un pilote européen. C’était, dit le capitaine d’Urville, un spectacle nouveau, intéressant, étrange pour nous de voir un sauvage, un anthropophage, nous tenir lieu, dans ces canaux solitaires, du pilote le plus attentif et le plus dévoué. On arriva enfin dans le bassin de Houraki et on inscrivit le beau canal qu’on venait d’explorer dans toute son étendue sous le nom de canal de l’Astrolabe. Le rude navigateur qui accomplissait sa tâche avec l’ardeur et la conscience d’une âme haute imagine l’importance que doivent prendre un jour ces canaux intérieurs et, comme la plupart des hommes voués à l’étude, assuré de l’indifférence des contemporains, il se console par l’espoir de la justice dans l’avenir. « Les travaux de l’Astrolabe, dit-il, jusqu’alors dédaignés, reviendront dans la mémoire des hommes, comme ceux de M. d’Entrecasteaux, qui déjà intéressent une colonie entière établie sur les lieux que le navigateur trouva autrefois déserts. »

Tandis que l’Astrolabe voguait dans la direction du nord, on aperçut, le 4 mars 1827, une flottille de vingt à trente pirogues marchant vers le sud. On ne douta point qu’elle ne portât les guerriers de la baie des lies allant ouvrir la campagne contre les malheureuses tribus de la baie de Houraki. Tourmenté par le désir de compléter le relèvement de la côte, le capitaine d’Urville, continuant sa course près des rivages, atteignit le cap Maria-Van-Diemen, le Rienga des Néo-Zélandais, pour ces insulaires, le terme extrême du monde connu. Par un beau soir, de ces parages on découvrait les sommités des îles des Trois-Rois, éloignées d’une soixantaine de milles. Le jour suivant, la mer étant calme, c’était fête parmi les créatures de cette région du globe ; d’innombrables troupes de marsouins à long museau et quelques grands requins avides se jouaient à la surface des ondes ; les fous à tête fauve, les pétrels et les alcyons répandaient dans l’air la plus vive animation. Les naturels du nord de Te-lka-a-Mawi, gens fort laids et très malpropres, croyaient déjà mort le fameux Hongi, alors souffrant de la blessure dont il ne devait point guérir.

L’Astrolabe vint mouiller, le 12 mars, dans la baie des Iles, à l’endroit même où, trois années auparavant, elle avait jeté l’ancre. M. d’Urville est frappé du changement qui s’est produit en un si court espace de temps. À l’époque du séjour de la Coquille, les relations