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faut en croire la correspondance intime de lord Palmerston[1], bien qu’il y ait dépensé sa prodigieuse activité et toutes les ressources de son esprit.

Il réclama le Luxembourg, dès sa première rencontre avec le chef du foreign office, comme une concession naturelle et légitime qui nous était bien due en retour de la neutralité belge et du retrait de l’armée française. Le ministre anglais répondit que le grand-duché était rattaché à la Confédération germanique et qu’il appartenait à un souverain ; que la question était réglée par les traités de 1815 et que ces traités ne pouvaient être modifiés sans l’assentiment des puissances. Il savait que les cours du Nord étaient irritées de la brèche faite aux traités de Vienne, qu’elles étaient mal disposées pour un gouvernement issu de la révolution et que, sans l’alliance de l’Angleterre, la France se trouverait en face de l’Europe coalisée. Le lendemain, M. de Talleyrand se prévalut de la faiblesse de nos frontières du nord pour demander Marienbourg et Philippeville ; il n’eut pas plus de succès. « Du moment que nous donnerions à la France un potager ou une vigne, écrivait lord Palmerston, nous déserterions les principes, tout deviendrait une question de plus ou de moins. Vraiment, ajoutait-il à titre de moralité, cela nous écœure de voir le gouvernement d’un grand pays, dans un moment de grande crise politique, disputer et intriguer pour des choses d’aussi peu d’importance. On dirait que la politique de la France ressemble à une épidémie adhérente aux murs de l’habitation royale et qui atteint l’un après l’autre tous ceux qui viennent l’occuper. » Mais M. de Talleyrand tenait absolument à se faire payer notre renonciation à la couronne belge. « Il se débat comme un hon, écrivait lord Palmerston ; le voici qui demande le château de Bouillon et le misérable territoire qui l’entoure, après avoir réclamé la démolition des forteresses qui commandent les frontières du nord de la France et insisté ensuite sur la nécessité de rattacher le Luxembourg à la neutralité belge. »

Convaincu qu’il n’obtiendrait rien du bon vouloir des Anglais, M. de Talleyrand se retourna du côté de la Prusse. Il savait qu’en s’adressant à ses appétits territoriaux, on était toujours certain d’être écouté. Il soumit à M. de Bulow, son ambassadeur à Londres, deux propositions : l’une garantissait à la Prusse la forteresse de Luxembourg et sa banlieue, et assurait à la France Marienbourg et Philippeville ; l’autre, plus vaste, avait pour objet la conclusion d’une alliance entre la France, la Prusse et la Hollande, qui se seraient partagé la Belgique et le Luxembourg à la barbe de l’Angleterre, à laquelle on ne réservait d’autre satisfaction que la neutralisation

  1. Lord Palmerston, sa correspondance intime, 1830-1865, publiée par Auguste Craven ; 1878.