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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/257

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été chargé de négocier un traité d’alliance offensive et défensive dont la durée était fixée à trois années. Ce traité comprenait deux parties. L’une était une convention secrète qui nous laissait la faculté d’annexer la Belgique au moment que nous jugerions opportun et dont l’exécution était assurée, au besoin, par le concours armé de la Prusse. La seconde était ostensible : on y stipulait la cession du Luxembourg à la France, moyennant une indemnité pécuniaire au roi de Hollande, et on reconnaissait que, par le fait de la dissolution de la Confédération germanique, le droit de garnison dans la place forte de Luxembourg, assuré à la Prusse, se trouvait éteint en raison de son incompatibilité avec l’indépendance des états de l’Allemagne méridionale. On sait qu’au dernier moment, alors que toutes les difficultés paraissaient écartées, M. de Bismarck, réconcilié avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, avait mis tout à coup notre sincérité en doute et prétendu que, si l’empereur Napoléon mettait tant d’insistance à lier la Prusse, ce n’était qu’avec l’arrière-pensée de la brouiller avec l’Angleterre. C’est au sortir de ce pénible entretien que M. Benedetti, plein d’amertume, écrivait à son gouvernement : « Quel degré de confiance pouvons-nous accorder à des interlocuteurs accessibles à de pareils calculs ? Si l’on refuse de nous écouter, c’est qu’on a obtenu ailleurs des assurances qui dispensent de compter avec nous. S’il faut à la Prusse, comme M. de Bismarck prétend l’avoir dit au roi, l’alliance d’une grande puissance, et si l’on décline celle de la France, c’est qu’on est déjà pourvu ou à la veille de l’être. »

Le ministre prussien avait prématurément découvert son jeu : il avait révélé à notre diplomatie indignée le fond de sa pensée. C’était une faute, il en mesura la portée, et se ravisa soudainement. Il comprit le danger de laisser partir l’ambassadeur de France avec la conviction que le gouvernement de l’empereur n’avait plus rien à attendre de la Prusse. En nous refusant Mayence et le Palatinat, il ne risquait rien ; il avait derrière lui l’Allemagne entière ; mais refuser la Belgique, et surtout le Luxembourg, c’était pousser le gouvernement impérial à des résolutions extrêmes. L’Autriche était encore frémissante, les populations annexées, aussi bien que les états du Midi, n’attendaient que le secours de l’étranger pour se soulever contre l’oppresseur, et l’armée n’était pas réorganisée. M. de Bismarck revit l’ambassadeur ; il lui dit d’un ton convaincu qu’il n’abandonnait pas l’idée de l’alliance, qu’il y attachait le plus grand prix et que, pour la cimenter, il s’offrait à nous faciliter par tous les moyens l’acquisition du Luxembourg ; non-seulement il ne ferait pas entrer le grand-duché dans la Confédération du Nord, mais il s’y opposerait si son entrée devait être réclamée par le parlement.