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assurant que M. de Bismarck avait refusé d’accorder les compensations que nous réclamions sur le Rhin et que des exigences qui blesseraient le sentiment national des Allemands seraient repoussées. On n’admettait pas, en raison des immenses services que nous avions rendus à la Prusse et à l’Italie par notre attitude, qu’une part ne nous revînt pas dans les remaniemens qui allaient s’opérer en Europe. On tenait le cabinet de Berlin pour lié par des engagemens formels, car on se refusait à croire que le gouvernement eût laissé se dérouler les événemens sans s’être prémuni. L’empereur, dans son manifeste du 11 juin, n’avait-il pas dit avec une absolue quiétude qu’il était assuré par les déclarations de toutes les cours engagées dans le conflit que, quel que fût le résultat de la guerre, aucune des questions qui nous toucheraient ne serait résolue sans notre assentiment ? Il avait déclaré, il est vrai, que la France repoussait toute idée d’agrandissement territorial, mais il avait eu soin d’ajouter : « tant que l’équilibre européen ne serait pas rompu, » et il n’avait pas caché, « qu’elle serait forcée de songer à l’extension de ses frontières si la carte de l’Europe venait à être modifiée au profit exclusif d’une grande puissance. »

Le désenchantement n’en fut que plus amer lorsqu’après la signature du traité de Prague, la triste vérité se révéla tout entière. Le doute n’était plus permis. La carte de l’Europe était profondément modifiée, « au profit exclusif d’une grande puissance » et sans compensation pour la France. « La grandeur est une chose relative, disait M. Magne ; un pays peut être diminué tout en restant le même, lorsque de nouvelles forces s’accumulent autour de lui[1]. » L’événement n’avait que trop vite justifié les prévisions de M. Thiers. L’empire de Charles-Quint que, depuis Marignan, nous avions mis deux siècles à couper en deux, se relevait à nos frontières, s’appuyant cette fois sur l’Italie au lieu de s’appuyer sur l’Espagne. L’œuvre laborieusement édifiée pièce à pièce par nos hommes d’État et nos hommes de guerre était compromise inopinément sans que nous eussions tiré l’épée. Quelle responsabilité pour ceux qui avaient présidé à une telle politique ! Et déjà l’Italie agrandie nous payait d’ingratitude, déjà la Prusse triomphante méditait notre démembrement ! Le pays n’était pas préparé à de telles vicissitudes ; il croyait sortir d’un rêve. La presse officieuse s’évertuait en vain à calmer les esprits en démontrant que le gouvernement ne s’était pas écarté de nos grandes traditions nationales, qu’il n’avait fait qu’exécuter la pensée de Richelieu, de Mazarin et de Louis XIV en arrachant l’Italie des griffes de la maison de Lorraine, notre ennemie séculaire : le sentiment public ne s’en irritait que

  1. Papiers des Tuileries.