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que pour satisfaire ses besoins de domination militaire. L’ancienne France n’existait pas pour lui, il était d’origine italienne, et d’ailleurs, avec des armées comme celles qu’il savait organiser, il pouvait à la rigueur ne pas tenir compte des lois et des nécessités de notre histoire. Il entendait assurer sa prépondérance, non par la persuasion, au moyen de congrès et d’arbitrages, mais par la force, et, lorsqu’il faisait litière des nombreuses souverainetés dont l’existence et le maintien avaient coûté tant d’efforts à notre vieille diplomatie, il détenait une partie de la rive gauche du Rhin, il agrandissait la Bavière et le Wurtemberg aux dépens de l’Autriche, il créait le royaume de Westphalie aux dépens de la Prusse, et se constituait le grand protecteur de la Confédération du Rhin. Il n’était pas homme à sacrifier au sentiment et encore moins à s’en remettre au bon vouloir et à la bonne foi de ministres aventureux. Quand il convoitait une province, il avait une armée sous la main pour s’en emparer.

« L’empereur Napoléon III, a dit George Sand dans un portrait écrit sous l’émotion de 1870 et avec les ressentimens non effacés de 1852, eut un rêve de grandeur française qui ne fut pas d’un esprit sain, mais qui ne fut pas non plus d’un esprit médiocre, il n’avait point d’instruction réelle, mais beaucoup d’intelligence, les rudimens et même les éclairs d’un génie plutôt littéraire que philosophique, et plutôt philosophique que politique. » C’étaient là, en effet, les traits caractéristiques de sa nature. Intelligent et bon, l’empereur, contrairement aux préceptes de Frédéric II, qui disait qu’un souverain doit avoir le cœur dans la tête, subordonnait sa raison aux élans de son cœur et de son imagination. Il se forgeait une Europe idéale et il obéissait à la logique de son système en faisant, comme son oncle, litière du passé. Peu lui importaient les origines de la France et les causes qui avaient présidé à son développement. Ses vues rétrospectives ne s’étendaient pas au-delà de la révolution de 1789. Il avait étudié César bien qu’il n’aspirât qu’au rôle d’Octave ; mais il avait négligé l’étude de nos archives nationales. Il s’était pénétré de la correspondance du chef de sa famille et du Mémorial de Sainte-Hélène, mais il n’avait médité ni le testament de Richelieu, ni les instructions que Mazarin et Louis XIV adressaient à leurs ambassadeurs. La guerre de trente ans, qui domine toute notre histoire, car elle a fait la France et défait l’Allemagne, était sans enseignement pour lui. Il oubliait, ou ignorait, que la paix de Westphalie, préparée de loin par les alliances de François Ier et de Henri II avec les protestans allemands, nous avait permis pendant deux siècles, en vouant l’Allemagne à l’impuissance, de porter la guerre sur son territoire, de lutter contre des coalitions européennes, et de les vaincre parfois. Que l’Allemagne ait cherché à réagir contre un si long et si humiliant destin, on le comprend, mais qu’un souverain français se soit