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prêté bénévolement à l’en relever, c’est ce que l’histoire ne saurait expliquer si elle ne se rendait pas compte de l’éducation première de l’empereur, des tendances fatalistes de son esprit, de sa nature sujette aux illusions, accessible aux idées généreuses, se livrant sans défense à ceux qui, pour le convaincre, savaient le circonvenir.

La parole de l’empereur, si écoutée dans les temps heureux, resta sans effet. Le charme était rompu ; on ne croyait plus à son infaillibilité. Les prophéties de Sainte-Hélène, le spectre de la sainte-alliance et de la coalition européenne, les aspirations et la reconnaissance des peuples, le colosse russe et le colosse américain, étaient des argumens démodés qui ne portaient plus. Les esprits étaient envahis par une inquiétude sourde que les déclarations optimistes du gouvernement ne parvenaient pas à dissiper. Il était évident pour tous que la politique impériale était débordée par les événemens et qu’elle avait subi une de ces défaites dont on ne se relève plus.

La Prusse en faisait foi par ses hauteurs et l’Italie par la véhémence de son ingratitude ; ces deux puissances rendaient la tâche difficile à ceux qui avaient préconisé, soit dans les conseils du gouvernement, soit dans la presse, la cause décevante des nationalités. Il en coûte en face d’un mécompte de reconnaître ses erreurs et d’en assumer sa part de responsabilité. L’empereur paya pour tout le monde. Ses fautes étaient indéniables, mais l’opinion publique faussée ne l’avait-elle pas poussé dans la voie fatale où il s’était engagé et la France, bien avant son avènement, n’avait-elle pas pris en main la cause de l’affranchissement des peuples ? Ce sera son excuse aux yeux de l’histoire.

L’empereur n’ignorait pas le revirement de l’opinion contre lui. Une note secrète, trouvée dans les papiers des Tuileries, montre que son préfet de police le tenait fidèlement au courant des manifestations de l’esprit public et des appréciations sévères dont sa politique était l’objet. « De quelque côté que l’on regarde, disait M. Pietri, on se heurte à des inquiétudes sincères ou à des défiances qu’inspirent des hostilités ardentes. La partie agissante de la société accentue plus que jamais son opposition radicale et systématique. Elle seconde activement les hommes de parti, elle se complaît dans les attaques de la presse, elle va répétant que l’empire est atteint dans son prestige extérieur, dans les garanties mêmes qu’il donnait à l’ordre social. Les masses ne sont pas encore gagnées par cette désaffection ; mais ne faut-il pas craindre que, mobiles et impressionnables, elles ne suivent, à un moment donné, l’entraînement des classes dirigeantes et ne leur prêtent pour une œuvre révolutionnaire leur concours ? On demande ce que veut l’empereur, quelle est son action, quel est le but poursuivi par son gouvernement ? On