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moyen de régner avec sécurité et d’assurer après elle le repos de ses sujets. Elle me paraît aujourd’hui, résolue à ne pas refuser les conditions convenables qui seraient offertes par le roi de France. L’intention de la reine est si manifeste que, si l’affaire est bien conduite, elle doit réussir. » Smith, avant toute nouvelle ouverture, devait trouver quelque personnage de confiance pour l’envoyer tout communiquer à Coligny et surtout pour bien le renseigner sur les causes qui avaient amené la rupture.. Montgomery, alors en Angleterre et auquel Élisabeth s’en était confiée, avait hâté son départ pour aller lui-même s’en entendre avec Coligny. Rien n’avait été laissé de côté de ce qui pouvait faciliter la négociation ; mais Smith allait retrouver une tout autre France que celle qu’il avait laissée en 1566, lors de sa dernière ambassade. Toutes les influences tendaient à se déplacer : Charles IX, si l’on en croit Walsingham, « reconnoissant l’insuffisance de ses conseillers habituels, » avait rappelé Coligny à la cour, il lui avait rendu sa place au conseil et fait remettre 100,000 livres pour l’indemniser des pertes qu’il avait subies durant la guerre. Il avait fait plus encore ; il s’était associé et de tout cœur à son noble et grand dessein d’arracher les Flandres aux Espagnols et de les donner à la France. Un événement tragique avait précédé de quelques semaines à peine l’arrivée de Smith. Ligneroles, que peu de mois auparavant Catherine avait menacé de sa colère pour avoir détourné le duc d’Anjou de son mariage avec Élisabeth, ce même Ligneroles, qui à bon droit passait pour l’agent des Guise et de l’Espagne, avait été assassiné en plein jour, presque à la porte de la cour, par le neveu de Villequier et quelques autres gentilshommes. Dès le lendemain, Charles IX, sur la demande de Tavannes, avait octroyé le pardon aux meurtriers. « Ce n’est pas un médiocre avancement pour notre cause, » écrivait Cecil à Walsingham. Étrange et triste temps où un assassinat était considéré comme un indice favorable à un projet de mariage ! Voilà toutes les raisons qui pouvaient faire bien augurer de la mission de Smith ; mais il y avait un obstacle auquel il ne devait pas s’attendre. Catherine, qu’il croyait encore favorable à ce mariage, ne s’en souciait réellement plus ; elle s’était arrêtée à d’autres projets pour ce fils, « son idole, » comme disait Marguerite de Valois. Dès le mois d’octobre, elle avait pensé pour lui à la fille du roi de Pologne, alors-âgée de vingt-cinq ans. Après avoir formellement déclaré à l’ambassadeur de Florence, Petrucci, que son fils n’épouserait jamais qu’une princesse catholique, elle l’avait chargé de demander à Cosme de Médicis d’écrire au pape afin qu’il donnât l’ordre à son légat de Pologne de favoriser ce projet ; dans le cas où il n’y aurait aucune chance de le faire réussir, elle espérait que le pape, qui traitait le duc avec une