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Mais on ne pouvait guère espérer le concours de gens dont les uns étaient encore, en beaucoup d’endroits, traités avec la dernière rigueur, et qui tous avaient été frappés par la révolution dans leurs croyances ou dans leurs intérêts. Un changement complet dans la politique et dans le gouvernement aurait seul pu les rallier. Or ce changement n’avait pas eu lieu : loin de laisser tomber les lois rendues par la convention contre les prêtres, le directoire s’était empressé de les faire revivre. Il en avait même expressément recommandé la sévère application dans une circulaire qui porte la date du 15 janvier 1796 : « Dans les cinq premiers mois de cette année, — j’emprunte ce chiffre, à une récente publication de M. Victor Pierre, — vingt et un prêtres avaient été condamnés à mort par les tribunaux criminels ou massacrés sans jugement. »

En même temps, et pour bien marquer son désir d’en finir avec la religion catholique, le gouvernement protégeait ouvertement la secte et le culte ridicules des théophilanthropes, et les installait à Paris dans plusieurs églises. On accusait même un de ses membres, Laréveillère-Lepeaux, d’être leur grand-prêtre. Mais ce n’était rien encore : pendant la première période de son existence, le directoire avait été contenu par les conseils, dont la majorité, surtout après les élections de l’an V, était manifestement contraire à la continuation des hostilités contre le clergé. Après le 18 fructidor, il ne connut plus de bornes : abroger les lois rendues malgré lui par le corps législatif pour la protection des prêtres, exiger d’eux un nouveau serment, les déporter et même les fusiller, rien ne l’arrêta. Ce n’est pas ici le lieu de raconter ces tristes exploits[1]. Ils n’appartiennent à notre sujet qu’au point de vue des difficultés qu’ils suscitèrent au directoire pour l’exécution de la loi du 3 brumaire, et si nous les signalons, c’est uniquement à ce titre ; mais encore fallait-il en tenir compte, car après le caractère irréligieux de l’enseignement, rien ne fut plus nuisible au succès des écoles primaires.

Toutefois ce n’est pas seulement par des raisons d’ordre moral que s’explique l’extrême pénurie de sujets qui est le fait le plus important de l’histoire de l’instruction publique à cette époque. Même étant données la politique du directoire, ses violences et ses tracasseries contre les prêtres et contre la religion, le recrutement des instituteurs n’eut pas été si difficile, à beaucoup près, si leur situation matérielle avait été seulement tolérable. Il y a toujours des gens pour prendre les places, quand elles sont rémunérées, même très

  1. Huit cents prêtres déportés à la Guyane ; douze cents internés dans les prisons de l’île de Ré et de l’île d’Oléron, plusieurs fusillés comme émigrés rentrés à Tours, à Nancy, à Besançon, à Marseille, à Lyon, à Colmar, etc.