Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devrais pas l’avouer peut-être. Il est si facile de cacher que l’on est ignorante par le silence !

Cette flèche, lancée à Nellie, parut n’atteindre que Saint-John, qui mordit sa moustache.

— Quel est donc, reprit Mme de Waldeck, le proverbe latin qui dit : « Les choses inconnues sont supposées être magnifiques ? »

— Je ne doute pas que vous ne soyez en état de citer le texte original, grommela Hubert.

— Je pourrais faire semblant, répondit-elle avec un joli éclat de rire, mais je suis trop franche… l’excès de franchise est mon défaut. Bien des gens ne me l’ont jamais pardonné. Que voulez-vous ? je vais toujours droit au but avec une sincérité brutale ; c’est ainsi que je blesse les opinions reçues, que je me fais des ennemis.

— Ce prétendu défaut est un de vos grands mérites, interrompit Wilfred. C’est lui qui vous a permis de battre en brèche certaines conventions absurdes avec un courage qui manque à la plupart des femmes.

— Vous êtes bien bon, en vérité, mais vous avez tort. Au point de vue mondain, c’est impolitique,.. ne trouvez-vous pas, lady Athelstone ?

Forcée ainsi dans ses retranchemens, Nellie répliqua, après une seconde d’hésitation :

— Je connais trop peu le monde pour savoir ce qui est impolitique et ce qui ne l’est pas.

— Voilà une réponse éminemment politique. Oh ! vous n’êtes pas aussi franche que moi.

Saint-John sentit en ce moment qu’il l’étranglerait volontiers.

— Ce que dit ma femme est vrai, affirma Wilfred, elle ne sait rien du monde et ne tient point à le connaître. J’ai vainement essayé de lui faire apprécier mes amis ; ma mère, qui voulait l’entraîner chez les siens, n’a pas été plus heureuse. Aussi n’a-t-elle pas, sous ce rapport, plus d’expérience qu’un enfant.

— Oh ! dans la position de lady Athelstone, qui possède tout ce que la vie peut donner, cela n’a qu’une médiocre importance. C’est à une femme telle que moi, forcée au combat pour l’existence, que la connaissance du monde est nécessaire. Se résigner, se poser en victime ne suffirait pas en certains cas, il faut être armée, car on ne peut compter sur l’aide de personne.

— Vous n’avez besoin d’aucune aide, j’en réponds, riposta Saint-John venant au secours de Nellie. Comme Talleyrand à Mme de Staël, qui lui demandait au secours de qui il s’élancerait de préférence si elle ou Mme Récamier était en péril de se noyer, je vous dirais volontiers : « Vous qui savez tout savez nager, madame ! »