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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/437

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insomnie : — Pourvu, pensait-il, saisi de la plus horrible de toutes les craintes, pourvu qu’elle ne devienne pas folle !

Les lettres de Wilfred étaient terminées, il regarda l’heure à sa montre et sonna Lorenzo.

— Tu vas, lui dit-il, emballer les livres que voici et ce revolver ; tu veilleras à ce que tout soit prêt pour demain soir. Ces lettres,.. non, je les mettrai moi-même à la poste en sortant tout à l’heure.

Comme Lorenzo se retirait après avoir jeté un regard curieux sur sa maîtresse :

— Nellie, reprit lord Athelstone, je ne tarderai pas à rentrer ; mais vous devriez fermer la fenêtre, il commence à faire froid.

Elle se leva ; ce ne fut pas pour fermer la fenêtre : s’arrêtant toute droite devant son mari :

— Encore un instant ! lui dit-elle. — Et tous deux, durant quelques secondes, demeurèrent face à face dans le crépuscule.

— Je sais que c’est bien inutile, hélas ! mais je voudrais essayer d’un dernier appel.., oh ! le dernier, je vous jure. Ne pouvez-vous consentir à retarder votre départ de quelques semaines ?

— Ma chère Nellie, vous savez que depuis deux mois ma place est retenue à bord, que j’ai là-bas des engagemens… Ma première lecture est annoncée à New-York pour le 2 novembre.

— Vous aurez la meilleure de toutes les excuses à donner, Wilfred, si vous voulez seulement attendre un peu.

— Toujours ces menaces tragiques ! quand le médecin dit que vous n’avez rien, absolument rien de grave. Le fait est que vous vous rendez malade en vous abandonnant à des idées noires. Soyez raisonnable ! Je vous quitte pour quatre mois au plus, et, en agissant ainsi, je ne fais, convenez-en, que ce que font une bonne moitié des maris d’Angleterre ; seulement, je ne vais ni pêcher le saumon ni chasser l’ours, comme les autres. Est-ce un crime ? Vous n’avez aucun sujet d’être inquiète, et dès la fin de janvier, je reviendrai, délivré de tous mes embarras d’argent, pour vous retrouver, j’espère, parfaitement bien portante.

— Vous ne l’espérez pas, vous ne pouvez l’espérer, répliqua-t-elle avec une agitation croissante. Restez, sinon vous aurez lieu de le regretter toute votre vie.

— Pour Dieu ! calmez-vous, Nellie.

— Me calmer, quand j’ai le cerveau en feu ? quand je sais que cette femme perdue…

Il l’interrompit sévèrement :

— Je ne puis vous entendre parler ainsi de Mme de Waldeck.

— Non, je ne vous rendrai qu’à Sylvia Brabazon, s’écria la malheureuse, exaspérée. Pour celle-là je me sacrifierai,.. comme elle s’est sacrifiée pour moi… Elle vous aimait véritablement, et vous l’épouserez