Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/438

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand je n’y serai plus, ajouta Nellie en joignant ses mains tremblantes… Dieu me fera grâce, si je vous sauve en dépit de vous-même !

Ces derniers mots, qui trahissaient l’agonie d’une âme désespérée, auraient dû faire réfléchir Wilfred ; mais, chose étrange, il ne se les rappela que plus tard. Le nom de Sylvia avait seul fixé son attention, et il répondit avec amertume :

— Vous vous trompez au sujet de miss Brabazon ; elle ne s’est jamais sacrifiée pour personne. Quant à nous deux, mon enfant, poursuivit-il après une pause, nous avons de longues années devant nous, ne les empoisonnons pas par de vains regrets ou des griefs chimériques. Si votre religion ne peut vous soutenir pendant ma courte absence, elle n’a pas grande valeur, en vérité.

A peine Nellie comprenait-elle ces paroles dans ce qu’elles avaient de froid et de sarcastique ; seulement, lorsqu’il passa un bras autour de sa taille en essayant de la conduire vers le canapé, elle frissonna.

— Étendez-vous, dit Wilfred, tâchez de reposer un peu avant le dîner.

— Reposer, murmura-t-elle. Grand Dieu ! si je pouvais dormir pour ne plus jamais, jamais me réveiller !

Il eut la cruauté de la quitter en cet état ; l’ayant baisée au front, il appela Lorenzo :

— Dis à Staples de venir veiller sur madame, qui est souffrante. Puis, prenant son chapeau, il sortit.

Quelques minutes après, la femme de chambre entrait à pas de chatte. Il faisait presque nuit ; elle distingua cependant sa maîtresse à genoux, auprès du sofa.

— Mylady, dit Staples en se penchant sur elle, y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ?

La pauvre créature tressaillit à la façon d’un animal blessé que l’on touche : — Non, laissez-moi, n’approchez pas.

Et Staples n’osa insister, mais elle alla dire à Lorenzo d’un ton de commisération indignée : — Mylady est dans un triste état !

Le vaurien haussa les épaules : — Parce que M. Saint-John ne s’est pas encore montré aujourd’hui !

Lorenzo, depuis qu’il avait vu Saint-John parler de si près à sa maîtresse et avec tant d’émotion, un certain soir, sur la terrasse d’Eaglescrag, avait des idées bien arrêtées sur la nature de leur intimité : — Si milordo en tenait pour Mme de Waldeck, mylady ne demanderait pas mieux que de se laisser consoler par le signor Saint-John. — Aussi quand, dix minutes après, celui-ci se présenta en demandant : — Lady Athelstone est-elle seule ? — le jeune Italien eut un sourire moqueur. Prenant une lampe, il précéda celui qu’il appelait l’amoureux de madame.