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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/447

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dans Clarisse Harlowe et dans la Nouvelle Héloïse, ces « fortunes réalisées en un jour?» Où sont-ils, dans Werther, dans René, dans Obermann, dans Adolphe, ces « princes qui se promènent incognito avec des diamans plein leur poche? » Où sont-elles enfin, dans les tragiques histoires d’Indiana, de Valentine, de Jacques, ces « amours triomphales enlevant les amans dans le monde adorable du rêve? » Voilà les chefs-d’œuvre du roman idéaliste, avec tous leurs défauts, que nous signalerons volontiers à M. Zola, quand il le voudra, car il ne les connaît pas, et voilà, si sa critique était loyale, à quels noms il devrait s’atquer. « Tout ce qu’il y a de plus fou et de plus riche, » mais, qu’il nous le montre donc une fois dans les romans de Mérimée ! et nous nous chargeons, par échange de bons procédés, de lui montrer, dans les romans de Balzac, « toute la fantaisie d’or des poètes. »

La vraie question, cependant, la voici. Vous ne trouverez pas, depuis Richardson et Jean-Jacques, un seul romancier de quelque renom qui n’ait eu la prétention, plus ou moins hautement affichée, de rétablir dans leurs droits méconnus par des conventions arbitraires la vérité, la nature, la réalité. Ce n’est pas ici le temps d’accumuler des textes. Je n’en produirai qu’un, mais qui devra toucher, je l’espère, comme une délicate attention, l’auteur du Ventre de Paris. « La vraie nature, disait Fielding il y a plus de cent ans, est aussi rare à rencontrer chez les écrivains que dans la boutique des Quenu-Gradelle un vrai jambon de Mayence, ou de vraie mortadelle de Bologne.» Ils en ont tous dit autant, n’importe pour aujourd’hui sous quelle forme, et tous, ils ont écrit, l’un après l’autre, sur son enseigne : « Au vrai jambon de Mayence, » ou : « A la vraie mortadelle de Bologne. » Remarquez de plus, et la chose en vaut la peine, qu’ils ont tous voulu dire la même chose. Ils n’ont pas entendu ces mois de nature et de réalité, comme cabalistiques, celui-ci d’une manière et celui-là de l’autre, mais, unanimement, dans leur sens le plus simple, le plus ordinaire, le plus banal. « Nature, » c’est-à-dire « nature; » et « réalité, » c’est-à-dire « réalité. » De telle sorte que le vrai problème n’est pas de savoir de quel œil chacun d’eux a vu la nature, ni même comment sa main obéissait à son œil, ou, dans le difficile passage de la sensation à l’exécution, s’écartait de la nature. Ou du moins ces problèmes ne viennent que bien loin après le principal, qui est de savoir ce qu’était pour chacun d’eux, en son temps, et dans son milieu, la notion commune de nature et de réalité. Or, à mesure que les générations croissaient en expérience et que la vie des sociétés se compliquait, ce sont ces notions, elles aussi qui toutes seules se compliquaient et s’élargissaient. Et c’est sur quoi M. Zola, s’il eût voulu construire un livre, eût du faire porter tout l’effet de sa démonstration.

Il eût alors parlé de Rousseau tout autrement qu’il ne l’a fait et