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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/448

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signalé, par exemple, dans la Nouvelle Héloïse, quelque chose d’absolument nouveau, le premier roman moderne où l’amour ait été traité comme chose sérieuse, et comme affaire importante de la vie. L’amour, en effet, et plus généralement les relations d’un sexe à l’autre, n’avaient été jusqu’alors traitées, — dans notre littérature, et le théâtre mis à part, — que de deux manières, à la manière italienne, c’est-à-dire galante, comme dans les romans de Mlle e Scudéri, par exemple, ou à la manière libertine, c’est-à-dire gauloise, comme par exemple dans le Diable boiteux. — J’excepte ici de la généralisation Gil Blas et Manon Lescaut, à titre d’œuvres uniques, de la même façon que dans l’histoire du roman anglais on en excepte Robinson Crusoé et les Voyages de Gulliver. — On vit donc pour la première fois, dans la Nouvelle Héloïse, l’amour devenu le héros du roman. On y vit pour la première fois, aussi, les malheurs domestiques d’un Saint-Preux ou d’une Julie d’Étange, élevés par l’ampleur du développement et l’éloquence de l’accent, jusqu’à la dignité des infortunes tragiques de la race d’Atrée et de Thyeste. On y vit pour la première fois, encore, les personnages du drame placés dans la dépendance de ce que nous avons depuis lors appelé le milieu, puisqu’il n’est pas jusqu’à ces odeurs qui jouent dans le roman naturaliste un rôle si capital, — ou si capiteux, — que dans la chambre de Julie, Saint-Preux n’ait respirées. On y vit pour la première fois, enfin, un écrivain livrant au public sa propre histoire, et sinon a sa tante et sa belle-mère toutes vives, » — la formule est de M. Zola, — du moins les paysages qu’il avait vus, les personnes qu’il avait connues, les expériences qu’il avait traversées. De ce jour, le roman moderne était créé. La vie commune venait d’entrer dans le domaine de l’art, la vie réelle, dépouillée de ces déguisemens plus ou moins antiques, et de ces travestissemens à l’espagnole ou à la napolitaine dont on l’avait affublée jusque-là.

Je passerai rapidement sur Werther et sur René. Ce ne sera pas toutefois sans donner le conseil à M. Zola de lier connaissance avec Goethe. La lecture n’en est pas toujours amusante, et je lui concède que plus d’une fois il y bâillera. En revanche, il apprendra combien de temps l’auteur de Werther attendit qu’un accident de la vie réelle vînt lui apporter tout fait le dénoûment que son imagination ne lui avait pas suggéré. Mais quant à René, puisqu’il est ici question de « roman expérimental, » on serait reconnaissant à M. Zola de vouloir bien nous indiquer quelque part une expérience psychologique plus hardie, plus directe, plus personnelle. A moins que peut-être ce ne soit une Belle journée, de M. Henry Céard, le psychologue diplômé de l’école de Médan!

Et pourquoi ne dirions-nous pas ici deux mots d’Obermann et d’Adolphe? « Le cadre du roman se simplifie encore, dit M. Zola, louant avec emphase l’une des œuvres les plus médiocres de MM. de Goncourt;