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bien si c’est la paix ou la guerre et qu’on démêle seulement de loin, à travers toutes les obscurités officielles, une situation dont la gravité se révèle de temps à autre par des accidens violens. Les événemens marchent tout seuls, et s’ils ont été suspendus par le Rhamadan, toujours religieusement observé dans le monde arabe, ou par la saison qui a pu ralentir momentanément l’action des forces françaises, l’agitation semble se raviver de toutes parts, de Tripoli jusqu’au Maroc. D’un côté, il est bien clair que le traité du Bardo, tout en réglant diplomatiquement les nouveaux rapports du bey de Tunis avec la France, n’a eu jusqu’ici d’autre effet que de nous laisser tous les embarras d’une occupation laborieuse, d’une conquête plus ou moins déguisée. Depuis deux mois, en réalité, la situation de la régence n’a fait que s’aggraver par la décomposition de ce qui restait de gouvernement, par l’insurrection organisée de la plupart des tribus indigènes, par une sorte de mouvement croissant qui a éclaté sur tous les points, qui, dans ces derniers temps, est allé jusqu’à menacer Tunis, mouvement d’autant plus redoutable qu’il est enflammé par le fanatisme religieux. Ce n’est pas avec ses forces que le bey aura raison de ces soulèvemens ; les soldats du bey sont des contingens envoyés aux insurgés, et c’est ainsi que nos troupes se trouvent entraînées par degrés dans une série de fatigantes entreprises. Récemment, au milieu de toutes ces opérations, plusieurs de nos colonnes se sont trouvées assez sérieusement engagées, si ce n’est compromises. Elles ont besoin de secours avant d’aller plus loin, tandis qu’une autre partie de nos forces est occupée à couvrir Tunis contre des incursions toujours menaçantes. Bref, la régence tout entière est à pacifier ou à conquérir. D’un autre côté, les affaires sont loin d’être rassurantes dans le sud de la province d’Oran, où tout reste en suspens, et par une complication de plus, dans la province de Constantine, l’hostilité des indigènes se manifeste, non pas précisément jusqu’ici par des prises d’armes, mais par d’immenses incendies qui se multiplient et qui ne sont évidemment qu’une des formes de l’insurrection. Le dernier mot de toute cette situation est un ébranlement visible, une incertitude qui ne laisse pas d’éveiller en France une certaine anxiété, au moins de vives préoccupations. Ce n’est point sans doute qu’il faille en croire ce pessimisme par trop sombre qui voit déjà la domination française menacée en Afrique ; cela veut dire simplement qu’on se trouve en face de sérieuses difficultés d’une œuvre complète de pacification à reprendre.

Comment avoir raison de ces difficultés ? qu’a-t-on fait jusqu’ici pour dominer cette crise après avoir négligé d’en empêcher l’explosion ? Le malheur est que, soit par des considérations d’intérêt électoral, soit par inexpérience ou imprévoyance, on a semblé craindre de s’avouer à soi-même, d’avouer au pays la gravité des choses et que, faute de se rendre un compte exact d’une situation qui se présentait avec les