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demande indéfinie du métal; à Paris, à Londres, à Washington, plus de 20 milliards furent jetés sur le marché ; la baisse fut insensible, mais l’argent disparut, absorbé par le commerce de l’Asie. Ceux qui s’en réjouirent ne voyaient pas tout. Si l’on entend cette plainte si souvent répétée : « La vie est de plus en plus chère, » la Californie et l’Australie en sont la cause : l’or vaut moins qu’autrefois, et l’argent, dont la valeur est liée à la sienne par la loi française, s’est déprécié avec lui, en modérant très heureusement, par l’accroissement de la masse totale, la rapidité et la grandeur de la chute.

L’abondance de l’argent nous inquiète aujourd’hui. Quand les mines d’or cependant ont décuplé leurs produits, le rapport des valeurs entre les deux métaux est resté invariable; la production de l’argent à peine doublée n’est donc pas la cause de la baisse, on ne convient pas même qu’elle en soit l’occasion.

« Si l’argent a baissé, dit un véhément et spirituel pamphlétaire, c’est parce que l’Allemagne a eu la fantaisie de décréter la démonétisation du métal argent et que l’administration française, saisie de stupeur et d’esprit d’imitation, a cessé tout à coup de frapper des pièces nouvelles. »

Trop vivement lancé, le trait dépasse le but. L’Allemagne, en renonçant à la monnaie d’argent, a adopté, sans fantaisie ni coup de tête, un projet longuement étudié, conseillé par les hommes les plus compétens et dont les circonstances semblaient rendre la réalisation facile; elle s’est avancée dans l’exécution avec plus de timidité que de hâte. On ne doit accuser non plus l’administration française, est-il besoin de le dire? ni de stupeur ni d’esprit d’imitation. Le parti qu’elle a pris était discutaille assurément ; elle y a été entraînée par degrés. Les thalers exclus de l’Allemagne, convertis en lingots, puis en pièces de 5 francs, remplaçaient rapidement notre or. On limita la frappe de l’argent ; cette précaution insuffisante fit baisser le prix des lingots de 15 pour 100. Lorsque la conversion en monnaie leur rendait toute leur valeur, pouvait-on, sans choisir, faire un tel cadeau aux premiers inscrits, étrangers ou français, et, la loi étant muette, choisir sans injustice? Autorisé par une loi nouvelle, le gouvernement renonça à frapper les pièces de 5 francs, et, parmi les voix qu’il faut compter, le plus grand nombre approuva la mesure.

En ralentissant, puis en supprimant la frappe de l’argent, au moment où l’Allemagne changeait ses thalers en lingots, la France, imprudente suivant les uns, prévoyante et sage suivant les autres, a troublé le marché monétaire, déconcerté l’Allemagne et procuré le mal qu’il faut combattre. La possibilité de maintenir le double étalon devenant douteuse, elle a voulu se préparer à l’éventualité d’une