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car elle est toujours la même. C’est une famille d’expulsés qui est venue échouer au garni. L’époque du terme est toujours une crise dans la vie de la misère. À cette époque fatale, on rencontre dans les rues de Paris nombre de familles en quête d’un gîte, qui transportent dans une petite charrette à bras leur chétif mobilier, le père tirant, les enfons poussant, la mère portant dans ses bras les objets qui n’ont pu tenir dans la charrette. Quatre fois l’an, les quartiers pauvres offrent le spectacle de ces exodes populaires, et je n’en connais guère de plus pitoyable.

Les logemens garnis reçoivent, outre ces familles d’expulsés, un assez grand nombre d’individus qui n’ont jamais logé et qui, suivant toutes probabilités ne logeront jamais ailleurs, les uns parce que, étant sans liens de famille, ils travaillent, mangent et vivent au dehors, les autres parce que, n’ayant l’intention de passer à Paris qu’un temps assez court, ils ne veulent point se mettre en frais d’installation. Chaque printemps voit, en effet, débarquer à Paris les nombreux bataillons des enfans du Limousin, de la Corrèze, de la Creuse, qui viennent s’employer aux divers travaux du bâtiment. Quelques effets personnels qu’ils apportent, qui dans une malle, qui dans un sac, qui dans un mouchoir noué par les quatre coins, constituent tout leur bagage. Lorsque le bâtiment va (pour parler le langage populaire), ces hommes font d’assez fortes journées dont le produit pourrait leur permettre de s’octroyer un logis plus confortable. Mais avec cet esprit d’épargne qui fait la force du paysan français, tout ce qu’ils ne dépensent pas au jour le jour est envoyé au pays pour être employé à l’achat de quelques lopins de terre. Les prodigues se donnent cependant le luxe d’un cabinet où ils couchent généralement à deux ; mais le plus grand nombre se contente de la chambrée, c’est-à-dire du dortoir commun, que remplissent quinze ou vingt lits. Il est cependant un signe caractéristique auquel on peut distinguer, lorsqu’on visite un garni la nuit, ceux qui y ont été jetés par la misère et ceux qui y demeurent par des motifs d’économie plus apparente que réelle. Le misérable n’a généralement qu’une seule chemise ; aussi, pour ne pas l’user, couche-t-il presque toujours, hiver comme été, complètement nu.

Il serait intéressant de savoir le nombre de ces cliens plus ou moins misérables du garni. Mais si la police relève chaque jour avec exactitude le nom des individus qui prennent gîte dans les 10,481 hôtels meublés que contient la capitale, elle ne fait (ce qui est regrettable) aucune différence entre ceux de l’hôtel Continental ou de l’hôtel Bristol et ceux du Matelas épatant, ou de tout autre immonde logis, qui sont tous confondus dans la même statistique. Cette confusion ôte tout intérêt au chiffre total, qui a été, en 1880, de 1,373,093 entrées. Il y a cinq ans, sur la demande de la commission