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j’écarte l’intervention. Si l’usage est établi de régler tous les comptes sans exception le premier jour de chaque mois, chaque employé recevant ses appointemens, chaque ouvrier son salaire, chaque marchand le paiement de ses notes, chaque propriétaire le prix de ses locations, ceux qui manquent à payer étant blâmés comme insolvables, chacun devra, le dernier jour de chaque mois, avoir réuni en espèces la dette présumée du lendemain s’il ne veut s’exposer à être mis en retard par la négligence de ses propres débiteurs. Pour que tous puissent pousser jusque-là la prudence, il faut au minimum une quantité de monnaie égale à la douzième partie de la somme des paiemens annuels, et ce sera affaire à chacun de régler ses dépenses sur la portion présumée que son travail ou sa richesse acquise doivent amener entre ses mains. L’exagération de calcul est cependant évidente et l’évaluation du minimum indispensable beaucoup trop haute. Si les citoyens de la petite république, continuant à payer leurs dettes une fois par mois, avaient l’idée bien naturelle de ne pas tous choisir la même date, chacun remplissant jour par jour la bourse qu’il doit vider en une fois, la quantité de monnaie qui s’y trouverait, en moyenne, correspondrait à la recette d’un demi-mois, et, pour tous les habitans réunis, à la vingt-quatrième partie de l’ensemble des paiemens annuels. Cette somme deviendrait triple, si pour payer tous les trois mois, chacun voulait accumuler chez soi la dépense d’un trimestre ; elle se réduirait au contraire dans une très grande proportion si l’usage prévalait, chez ceux qui le peuvent, de tout payer argent comptant.

Les prix n’ont avec la masse du numéraire aucune relation nécessaire et précise.

Qu’arriverait-il cependant si, toutes choses restant les mêmes, la quantité de monnaie venait à doubler?

Un navire chargé de lingots échoue sur les côtes de l’île; et, par une inspiration malheureuse, on en tombera d’accord, on les partage entre tous; les plus grosses parts, naturellement, échoient aux plus riches, et, le hasard aidant, chacun reçoit précisément sur les lingots convertis en monnaie autant d’argent comptant qu’il en possède en ce moment. Le numéraire de l’île a doublé, les bourses sont mieux garnies, la richesse véritable n’a pas changé.

Les prix pourraient doubler assurément si tous y consentaient ; mais ceux qui paient ou achètent résisteront, et sans imaginer les détails ni prévoir l’issue de la lutte, on peut affirmer qu’elle sera longue. L’argent disponible subitement jeté sur le marché activera les ventes, augmentera la demande de travail; la main-d’œuvre, plus recherchée, se fera payer plus cher, tous les prix s’élèveront ; les oisifs se plaindront en déplorant peut-être comme un malheur public la bonne fortune dont ils ont eu la plus forte part, mais les