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publique, dont personne ne pourrait alors contester l’autorité, les prescriptions de détail? Il y aurait d’autant moins de scrupule à se faire de rogner un peu sur les bénéfices des logeurs, que cette profession (à laquelle se joint généralement celle de marchand de vin) n’est pas moins lucrative que celle de locataire principal de ces immondes cités dont j’ai parlé. Lorsqu’on a visité les cavernes obscures et humides, situées de plain-pied avec le sol, ne recevant d’air et de lumière que par une porte vitrée, qu’ils louent à de pauvres familles au prix exorbitant de vingt francs par mois, lorsqu’on sait avec quelle rudesse ils ferment la porte de la chambrée à ceux qui ne peuvent, avant de monter, payer le prix de leur nuit, on n’est pas très disposé à la tendresse envers eux. Imposer des limites à cette spéculation sur la misère serait une tâche tout à fait digne de cette assemblée réformatrice qu’on nous promet, et l’espoir qu’il se trouvera parmi nos cinq cent quarante-sept nouveaux représentans quelque homme de bonne volonté pour l’y convier m’a déterminé à revenir avec quelque insistance sur cette question, qui, dans une grande ville, est affaire d’hygiène à la fois matérielle et morale.


II.

Pour coucher quelque part, fût-ce au garni, il faut avoir quelques sous dans sa poche; pour gagner ces quelques sous, il faut trouver du travail; pour trouver du travail, il faut en chercher. Aux deux premières conditions ne satisfait pas qui veut ; à la troisième beaucoup ne se soucient pas de satisfaire. Ce sont surtout ceux-là qui forment la catégorie des vagabonds. Il existe, en effet, à Paris toute une population flottante qui vit à l’état nomade, couchant rarement dans un lit, le plus souvent sur les bancs des promenades publiques, dans les maisons en construction, dans les baraques abandonnées ou sur les talus des fortifications. Ce sont les descendans des truands du moyen âge, et la rue de la Grande-Truanderie qui avoisine les Halles est encore une de celles où ils viennent de temps à autre demander l’hospitalité à des garnis de bas étage. Mais les truands ne sont plus aujourd’hui les maîtres du pavé; leurs cours des miracles n’existent plus. Ils sont pourchassés de partout et partout aussi ils trouvent des asiles qui varient suivant les circonstances et suivant les saisons. Quelle que soit la région de Paris qu’ils choisissent, ils ne tardent pas à se signaler par quelques déprédations et, sur la plainte des habitans, la police opère quelques-unes de ces rafles nocturnes dont on voit souvent le récit dans les journaux et dont le spectacle ne laisse pas que d’être tristement pittoresque.