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L’hiver, les vagabonds se réfugient de préférence dans l’intérieur des bateaux à charbon amarrés le long de la Seine. Ils se cachent sous les sacs de toile, qui leur servent en même temps à se garantir du froid, et c’est pelotonnés sous cette couverture improvisée que l’œil exercé des agens les découvre d’un seul regard jeté dans l’intérieur du bateau. L’été, ils envahissent quelquefois le bois de Boulogne et, cachés le soir dans l’intérieur des taillis, ils suivent probablement d’un œil curieux les lanternes des voitures où d’élégantes promeneuses, bercées au pas de leurs chevaux, font paisiblement le tour du lac. Lorsque les dernières de ces voitures ont disparu et que le bois de Boulogne rentre tout entier dans l’ombre et dans le silence, on organise, avec le concours des gardes à cheval préposés à la surveillance du bois, de véritables battues d’hommes, qui du reste sont généralement infructueuses, car il ne leur est pas difficile d’échapper à toute poursuite, grâce à l’obscurité de la nuit. Mais une des régions où les vagabonds de Paris paraissent depuis quelque temps élire le plus volontiers domicile, ce sont les pavillons des Halles centrales. C’est un curieux spectacle que celui des Halles la nuit. Jusqu’à une heure avancée de la soirée, pendant que les rues environnantes sont encore pleines de lumière et de mouvement, ces pavillons, d’une architecture si élégante et si hardie, sont plongés dans une obscurité presque complète. A peine, dans la profondeur des bâtimens, apercevez-vous parfois une lueur vacillante : c’est la chandelle d’une active marchande qui vérifie sa caisse ou qui prépare déjà son étalage pour le lendemain. Mais, à partir de minuit et à mesure que le gaz s’éteint dans les boutiques, que les cafés se ferment, que les rues se vident, les halles commencent à s’animer et une population rustique envahit les larges trottoirs de leurs voies intérieures. Ce sont de braves campagnards qui, partis de chez eux en charrette vers les dix heures du soir, apportent à Paris le produit de leurs jardins maraîchers. Ils rangent avec ordre sur les trottoirs leurs légumes, leurs fruits, leurs fleurs et, s’allongeant ensuite eux-mêmes, qui sur un banc, qui sur le dur asphalte, la tête appuyée sur leur bras ou sur un panier, ils s’endorment d’un lourd sommeil en attendant le jour. C’est l’heure où arrivent les vagabonds. Ils débouchent des petites ruelles environnantes, où ils ont souvent dépensé chez le marchand de vin le peu d’argent qu’ils avaient dans leur poche, et ils se flattent de passer une nuit paisible sous les pavillons des Halles, assis sur les mêmes bancs, allongés sur les mêmes trottoirs que cette honnête population, dont ils sont fort mal vus. Mais comme leurs déprédations donnent lieu à de fréquentes plaintes, fréquemment aussi des rondes de police passent l’inspection de cette foule endormie et, avec la sûreté de coup d’œil que donne l’expérience, les agens