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mais heureusement il est mort, en même temps que mon pauvre mari. »

Les asiles de nuit pour hommes et pour femmes font donc un bien incontestable. Une seule chose pourrait compromettre l’avenir de ces œuvres : ce serait de leur donner une extension trop grande. Pour les hommes, il existe déjà deux asiles et un troisième sera prochainement ouvert. Pour les femmes, sans compter une maison dénature, il est vrai, un peu différente, ouverte à Auteuil qui reçoit beaucoup moins de pensionnaires, et les garde plus longtemps pour les faire travailler, un second asile sera prochainement installé à Montmartre; peut-être un troisième à Belleville. C’est assez; plus ce serait trop. Rien n’aurait de plus déplorables conséquences que la mise à exécution de ce projet auquel l’administration de l’Assistance publique a sagement refusé son concours, de créer un asile municipal dans chacun des vingt arrondissemens de Paris. On encouragerait ainsi l’existence d’une population flottante de vagabonds qui n’aurait jamais de domicile et qui vivrait exclusivement dans ces asiles. L’expérience de ce qui se passe à Londres est là pour le prouver. Il existe à Londres depuis une date très ancienne un dortoir pour la nuit (casual ward) dans chacun des workhouses de la métropole, soit trente en tout. L’hospitalité que reçoivent les hôtes de ces casual wards est toute différente de celle qu’on leur offre dans les asiles de nuit à Paris. L’une est toute charitable; l’autre tout administrative. A Londres, on les reçoit sans s’informer de ce qu’ils faisaient la veille, de ce qu’ils deviendront le lendemain. On se borne à les faire baigner, à leur donner un morceau de pain et à les laisser s’étendre sur un Ut de camp en grosse toile, avec une couverture pour se tenir chaud. Il n’y a point de berceau pour les enfans : ils s’allongent sur le lit de camp à côté de leur mère, et je ne sais pourquoi il y a quelque chose de particulièrement triste à voir se dessiner sous une étoffe grossière les formes amaigries de leurs petits corps. Le lendemain matin, on leur fait à tous payer leur nuit au prix d’un travail qui pour les hommes ne laisse pas d’être assez rude : casser des pierres, scier du bois, en faisant mouvoir une lourde scie mécanique, et cela pour les dégoûter du casual ward. Dans certains de ces dortoirs, on a même établi un système de lits séparés (separate berth) pour qu’ils ne soient pas attirés par l’agrément de la société et de la conversation. Rien n’y fait : sur 37,221 individus auxquels l’hospitalité a été donnée en 1879, 14,135 ont été reconnus (identified) pour être des vagabonds d’habitude par les officiers chargés de la surveillance. Multiplier outre mesure à Paris le nombre de ces asiles serait donc échouer sur le même écueil et transformer en un encouragement pour la paresse des institutions qui doivent servir exclusivement