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à celles des Champs-Elysées. La contagion est rapide en effet de haut en bas, surtout par l’exemple des femmes. La marchande de mode va où va sa riche cliente ; les demoiselles de magasin vont où va la marchande de modes, et les jeunes filles au sortir de l’école vont où les mènent leurs sœurs demoiselles de magasin. Ba-ta-clan et les Folies-Belleville ne seraient pas aussi fréquentés si le Café des Ambassadeurs ou l’Alcazar d’été étaient déserts. C’est le même répertoire, aussi grossier, aussi bête, qu’on applaudit dans tous ces établissemens ; mais dans les cabarets-concerts (pour les appeler par leur véritable nom), la voix des chanteuses est plus ignoble, le geste plus accentué, la pantomime plus expressive. Aussi la foule entre-t-elle plus facilement dans un état de surexcitation qui se traduit par des chants et par des trépignemens. Cette surexcitation est encore entretenue par les allées et venues des femmes, qui dans beaucoup de ces bouges font le service et qui, sous la lumière criarde du gaz ou dans les coins obscurs, circulent avec leurs corsages échancrés dans les rangs d’un public pressé. On sent que la débauche bouillonne et que l’orgie éclaterait peut-être si la présence du garde municipal impassible qui stationne à la porte n’en contenait l’explosion. Et cependant on voit souvent aussi des ouvriers honnêtes, laborieux, venir en famille avec leurs femmes et leurs enfans se donner la récréation de ce spectacle malsain. Un soir (c’était dans un café-concert situé aux environs de la Bastille), je vis entrer ainsi un ménage accompagné d’une petite fille qui pouvait avoir environ dix ans et qui traînait péniblement à l’aide de béquilles ses jambes atrophiées. Les mains noircies de l’homme indiquaient des habitudes de travail ; une alliance passée au doigt de la femme montrait qu’elle était une véritable mère de famille. Tous deux prenaient grand soin de la petite infirme et l’assirent avec précaution sur une chaise, en mettant ses béquilles à sa portée. À ce moment, la chanteuse faisait précisément retentir de sa voix la plus ignoble son refrain le plus grossier. L’enfant, joyeuse, applaudissait de toute la force de ses petites mains, et ses parens semblaient ravis du plaisir qu’ils lui voyaient prendre.

On peut penser ce que la fréquentation de pareils spectacles émousse de sentimens délicats et combien il se loge ainsi dans les jeunes mémoires de refrains vulgaires. Quoi d’étonnant si la chanson populaire a singulièrement baissé depuis le temps d’Emile Debraux et de Béranger? Veut-on savoir les titres de celles qui sont devenues populaires depuis quelques années et dont M. Denis Poulot va nous donner la liste : la Noce à Montreuil, le Piqueton, le Gaudriole, le P’tit Bleu... Je m’arrête dans cette énumération attristante, qu’il serait facile de prolonger indéfiniment. Ne pourrait-on pas dire, en modifiant un peu le proverbe : « Dis-moi ce que