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avec joie et faveur par la masse populaire. Peu à peu cependant l’église catholique a perdu l’influence qu’elle exerçait sur cette masse, et, à le prendre dans sa généralité, le peuple parisien a passé vis-à-vis d’elle de l’attachement à l’indifférence et de l’indifférence à l’hostilité déclarée dont nous sommes aujourd’hui témoins. Quelles sont les causes de ce changement ? Elles sont multiples, sans doute, et les rechercher toutes m’emmènerait trop loin de mon sujet. Mais il m’est impossible de ne pas signaler l’opinion, aujourd’hui arrêtée chez la plupart des ouvriers de Paris, que l’église est leur ennemie. Ils ont oublié qu’elle a été pendant des siècles la dispensatrice de l’instruction comme de la charité, et que longtemps elle a constitué seule un corps démocratique où fréquemment on arrivait, sans naissance, aux plus hautes dignités et même à la plus haute de toutes. Ils ne se souviennent plus aujourd’hui que de ses alliances trop étroites avec des gouvernemens devenus impopulaires dont elle paie cher la dangereuse protection. Peut-être faut-il ajouter que les maladresses de certains défenseurs de l’église ne sont pas étrangères à ce résultat. Mais, quoi qu’il en soit des causes, la majorité du peuple voit dans l’église l’adversaire de ses progrès, de ses ambitions, et c’est cela qu’il ne lui pardonne pas.

Sans doute, il ne faut point prendre pour l’expression du véritable sentiment populaire les déclamations que certains énergumènes font entendre dans les réunions publiques. Ceux qu’animent vis-à-vis de l’église catholique les sentimens d’une haine aussi vigoureuse ne constituent dans le sein du peuple qu’une minorité. Mais il ne faut pas non plus prendre pour la majorité cette autre minorité courageuse qui demeure fidèle aux traditions du culte. Cette minorité existe sans doute et elle est assez nombreuse pour qu’on en puisse constater l’existence dans tous les quartiers de Paris. Il suffit pour cela de passer quelques instans dans une de ces humbles églises de faubourg où l’on ne va guère et dont la pauvreté contraste avec le luxe des nôtres. Parfois, durant ces heures de la journée où l’église est déserte, silencieuse, où aucun office n’attire les fidèles, on voit entrer une petite ouvrière, preste et pimpante, qui marche d’un pas léger. Elle s’arrête devant l’autel de la Vierge, et posant à côté d’elle le paquet de linge ou le carton de modes qu’elle porte à son bras, elle s’agenouille la tête dans ses mains, puis au bout de quelques instans, elle se relève et, reprenant son paquet, elle s’en va aussi lestement qu’elle est entrée. Parfois, c’est une vieille femme qui, roulant entre ses doigts les grains de son chapelet, attend pour s’en aller d’avoir-vu brûler jusqu’au bout le cierge qu’elle a fait allumer. Parfois, mais plus rarement, un homme dont l’allure un peu lourde trahira au premier abord l’origine paysanne fera respectueusement le tour de l’église et ne