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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/694

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dans l’oratoire du palais épiscopal. « Je viens de prier, lui dit-elle en se relevant, pour la réconciliation de l’état et de l’élise. »

Dans sa superbe indifférence à l’endroit de toutes les questions de doctrine, M. de Bismarck se souciait très peu de se marier pour la vie avec un parti. Son plus cher désir était de voir se former dans le parlement prussien comme dans le Reichstag une majorité gouvernementale et ministérielle, aussi docile que compacte, aussi stable que soumise, prête à voter les yeux fermés tout ce qu’il lui proposerait. Il n’a jamais dissimulé que le seul parti qui lui agréât était celui « des bismarckiens sans phrase. » Il a rêvé pendant quelques années de constituer cette majorité à sa dévotion par l’union des conservateurs et des libéraux modérés; mais il n’a pas tardé à se dégoûter des libéraux. Le libéral prussien est un être difficile à prendre, plus difficile encore à tenir ; il a un caractère à la fois ondoyant, flottant et fort épineux. Ce poisson est plein d’arêtes, et le chancelier de l’empire a failli plus d’une fois s’étrangler en le mangeant. D’ailleurs il n’a d’estime que pour ce qui est fort, la faiblesse lui inspire plus de mépris que de pitié. Il a vu le parti libéral s’affaiblir d’année en année par ses divisions intestines et diminuer à chaque élection ; il voyait, d’autre part, le centre catholique grandir incessamment au milieu des difficultés, des périls et des tempêtes, doubler en peu de temps son effectif, joindre de plus en plus la puissance du nombre à celle de la discipline. C’est ainsi qu’il fut amené peu à peu à lui faire des avances, dont les catholiques le récompensèrent en acceptant son nouveau tarif douanier.

Toutefois, au lendemain même de cette expérience, il hésitait encore. Un incident décisif acheva de lui ouvrir les yeux. A l’ouverture de la dernière session du Reichstag, le bruit courait dans les couloirs que tes libéraux, s’étant engagés à se joindre aux conservateurs pour voter les nouveaux impôts, étaient rentrés en grâce au rès du chancelier et qu’il désirait que le candidat du centre catholique fût écarté de la présidence. On sait qu’à Berlin, la politique se fait moins dans les salons que dans les brasseries. Chaque groupe a son estaminet, sa Fraktionskneipe, où il se réunit tous les soirs entre dix heures et minuit. Ce fut dans un débit de bière de la Leipzigerstrasse que le chef des libéraux, M. de Bennigsen, et le représentant des conservateurs, M. d’Arnim-Boitzenburg, ex-président du Reichstag, eurent ensemble une importante conférence, dans laquelle il fut convenu que les libéraux donneraient leurs voix à M. d’Arnim et qu’en revanche les conservateurs porteraient un libéral à la vice-présidence. Cependant le chef très habile et très avisé du centre, M. Windthorst, qu’on a surnommé à Berlin la petite excellence, die Kleine Excellenz, s’occupait de parer le coup ; il convoqua tout son monde par lettres particulières. M. d’Arnim