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la pièce, — une comédie-vaudeville, — se passant sous le directoire. Le fait est que l’idée essentielle de cet ouvrage est proprement la même que celle de Divorçons. « Le mari n’est odieux que parce qu’il est le mari; l’amant n’est délicieux que parce qu’il est l’amant : la différence n’est pas dans l’individu, mais dans la fonction. » Ainsi peut se rédiger le théorème que J.-B. Rosier eut le premier la gloire d’entrevoir, et dont M. Sardou a trouvé la dernière démonstration. C’est que, dans un temps où florissaient les vaudevilles sans idée. Rosier avait cette prétention d’en mettre une dans les siens, et, s’il vous plaît, une idée morale. Parmi ses idées, il s’en trouvait de bonnes. L’histoire dira qu’il eut cette chance de mener le premier, au théâtre, le retour offensif des maris contre les amans. Brutus, lâche César, est de juin 1849, et Gabrielle, d’Augier, ne vint que le 15 décembre de la même année. Or, c’est Gabrielle, plus connue que la pièce de Rosier, qui marque d’ordinaire, pour le grand public, le commencement de ces représailles édifiantes. Assez longtemps sur la scène, grâce à la complicité du drame romantique et de la comédie bourgeoise, l’amant avait bafoué le mari. Le mari, simplement ridicule sous l’ancien régime, était devenu par surcroît, sous la restauration et la monarchie de juillet, maudit et honni, à mesure que l’amour était mis du rang des passions au rang des vertus. Arnolphe ou Bartolo, ayant épousé Agnès ou Rosine, s’était appelé Ruy Gomez, — et quelle triste mine il avait faite auprès de Hernani ! Enfin M. Augier parut, avec sa Gabrielle, qui déclara que le mari n’était ni si ridicule ni si vieux diable qu’on le faisait, et que partant il convenait de le décoiffer de sa traditionnelle coiffure et de remplacer ce croissant par l’auréole que l’amant, jusque-là, portait galamment sur l’oreille. Survint M. Dumas, qui arma en guerre sa petite escouade de maris, tandis que Flaubert, dans le roman, découvrait les vilenies de l’adultère : le comte de Lys, M. de Terremonde et Claude, ces maris à l’affût, ne prêtèrent pas à rire. Même ce parti de la revanche eut ses troupes légères, pour répondre à la plaisanterie par la plaisanterie, si bien que l’amant désormais ne fut pas exposé seulement au revolver et au fusil, mais au ridicule.

Parmi les ouvrages de campagne de cette contre-guérilla, il faut citer la Petite Marquise, de MM. Meilhac et Halévy, ce chef-d’œuvre de fantaisie exacte, d’ironie élégante et de moralité sceptique. Le succès de Divorçons vient prouver encore une fois que cette manière de combattre est la meilleure, qui met l’esprit et non pas seulement l’éloquence, la raillerie, plus encore que le sentiment, au service de la loi. Et voici que nous découvrons, en retrouvant la pièce de J.-B. Rosier, que ce mode de défense fut indiqué le premier, puisque Brutus, lâche César, je le dis encore une fois, est de six mois antérieur à Gabrielle.

Aussi bien, il était naturel que M. Sardou fût un jour tenté de bâtir sur ce terrain occupé d’abord par Rosier. Toujours M. Sardou fut l’allié