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des maris. Il a, comme il dit, « la dévotion de la femme, » mais une dévotion éclairée qui cherche l’intérêt de l’idole : il adore simplement la femme dans le mariage. Sauf de rares exceptions, ses héroïnes sont vertueuses, ou du moins ne se hasardent que pour se reprendre et désormais se mieux tenir dans la vertu; elles traversent une crise pour en sortir meilleures, et la tentation pour elles n’est que l’épreuve qui précède le retour définitif de la grâce. Quoi de plus séduisant, pour un auteur qui professe de telles doctrines et qui manie la plaisanterie, que de chercher une démonstration nouvelle du théorème aperçu par Rosier? Déjà MM. Meilhac et Halévy l’avaient fait, et la Petite Marquise était, comme Divorçons devait l’être, supérieure à la pièce de ce vaudevilliste précurseur; — elle reste même, à mon avis, supérieure à Divorçons, parce que le style en est d’une qualité plus une et plus rare. Mais pourquoi la Petite Marquise, pourquoi Divorçons valent-ils mieux et cent fois mieux que Brutus, lâche César? Sans parler de la différence du talent de MM. Meilhac et Halévy ou du talent de M. Sardou à celui de J.-B. Rosier, — et pourtant c’est déjà un des privilèges du talent que de savoir choisir le champ où il doit se mouvoir, — Divorçons et la Petite Marquise valent mieux que Brutus, lâche César, parce que M. Sardou, comme MM. Meilhac et Halévy, a circonscrit habilement, sur le terrain un peu vague découvert par Rosier, la place exacte où il lui convenait de manœuvrer.

Le théorème était tout entier, non pas tel que je l’ai formulé, mais à l’état d’idée flottante, dans la pièce de Rosier : il semblait que l’auteur même n’eût pas compris la valeur de son idée ; il la laissait éparse, au lieu de la ramasser pour l’éclairer mieux, soit d’un côté, soit de l’autre. C’est justement ce qu’ont fait MM. Meilhac et Halévy d’abord, M. Sardou ensuite: ils ont donné de l’air à l’intrigue en faisant trois actes au lieu d’un; en développant la pièce, qui d’ailleurs était bien faite, ils l’ont simplifiée, ils l’ont faite mieux; ils ont dégagé l’idée; ils l’ont considérée, les premiers sous un angle, et le second sous un autre ; et, de la sorte, celui-ci et celui-là ont trouvé deux démonstrations également élégantes : la Petite Marquise nous prouve que l’amant devient odieux en devenant le mari ; Divorçons nous fait voir que le mari devient délicieux en devenant l’amant.

Ainsi le sujet de Divorçons, comme celui de la Petite Marquise, est plus simple et plus net que celui de Brutus, lâche César! Et pourtant Divorçons, aussi bien que la Petite Marquise, a trois actes et non pas un. Comment donc M. Sardou occupe-t-il le spectateur pendant ces trois actes? O mon Dieu! c’est bien simple. En soutenant l’attention, en relevant l’intérêt par d’ingénieux détails de caractère et de mœurs, en filant jusqu’au bout, avec un art exquis de moraliste comique, une seule scène à deux personnages, en continuant une ligne sinueuse