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partis pour la Tunisie. Assurément notre escadre aurait pu les couler en route ; car, si les vaisseaux turcs sortis des chantiers anglais, sont d’admirables machines de guerre, les officiers qui les montent et qui les manœuvrent ont fait preuve en toutes circonstances d’une incapacité déplorable. L’amiral turco-anglais qui les commande, Hobbart-Pacha, lui-même, a remporté plus de succès dans les colonnes du Times ou dans les meetings politiques de son pays natal qu’en pleine mer. Pendant la guerre turco-russe, il n’a su rien faire de la belle flotte placée sous ses ordres. Mais qui ne voit les conséquences désastreuses d’un nouveau Navarin ? On ne saurait malheureusement faire de mal à la Turquie sans s’exposer à en faire, par contre-coup, à toute l’Europe. Voilà ce qui oblige les puissances pacifiques comme la France à conjurer de loin les périls qui naissent sans cesse dans cette triste nation. Mais la maladie dont elle souffre est trop générale pour qu’on doive s’arrêter à une de ses manifestations et la traiter séparément. La ligue arabe, si elle se constitue, ne sera qu’un épisode d’une immense entreprise, qu’une partie d’un plan gigantesque que le sultan a conçu et dont il poursuit l’exécution avec l’obstination d’un esprit étroit, dominé par le fanatisme religieux et par des terreurs personnelles auxquelles il est prêt atout sacrifier. C’est ce que la presse turque ne nous laisse pas ignorer. Les journaux de Constantinople invitent sans cesse « les princes et les peuples musulmans à entrer franchement en relations avec le califat de l’islam, à lui confier la direction de leur politique et à se soumettre à ses ordres. » Le monde islamique serait ainsi partagé en nombreux états et en innombrables ligues, poursuivant chacun un but particulier, mais unis tous sous une direction commune et travaillant par des moyens divers à la même œuvre. Depuis les grandes défaites des commencemens de son règne, Abdul-Hamid est dévoré, en effet, du désir de compenser la diminution que ces désastres ont apportée à son prestige de sultan, de souverain temporel, par le développement de son titre de calife, par l’extension de son pouvoir religieux. Cette pensée domine et dirige toute sa conduite.

La politique turque, ou plutôt ottomane, que son prédécesseur Mourad avait tenté d’inaugurer étant abandonnée, c’est de la politique islamique qu’il attend la revanche de malheurs, à son avis, immérités. À bien des reprises, on avait vu naître et grandir dans son esprit les velléités qu’il ne cherche plus à cacher aujourd’hui. Tantôt il avait essayé de rétablir son influence sur les musulmans de l’Inde, tantôt il s’était efforcé d’affermir sa suzeraineté nominale sur la vice-royauté d’Egypte ; mais c’est dans les événemens de Tunisie que ses desseins ont éclaté avec une évidence irrésistible. Aucun intérêt pratique ne pouvait l’engager à prendre en main la cause du bey ; toutes les raisons humaines, toutes les règles de la