ne pouvait douter d’ailleurs que les paroles de M. de Bismarck n’eussent été interprétées avec une rigoureuse exactitude. Un agent peut transmettre à son gouvernement des informations sujettes à caution, ses appréciations peuvent être inexactes et même fausses, — cela s’est vu parfois, — mais il manquerait à ses devoirs professionnels les plus impérieux et il exposerait sa responsabilité au dernier chef s’il ne reproduisait pas de la manière la plus fidèle et la plus précise les paroles échangées.
La lettre de M. de Moustier fut envoyée au comte de Bismarck avec quelques lignes explicatives. Il évita ou négligea d’en accuser réception. Mais, le lendemain, M. Benedetti vit la lettre dépliée sur son bureau et, dès les premiers mots échangés, il put constater que le ministre ne s’était pas offusqué du soin qu’il avait pris de préciser et de fixer ses paroles. L’épreuve à laquelle il avait soumis sa sincérité n’était donc pas à regretter. Le ministre relut la lettre avec lui ; il n’avait pas perdu le souvenir de ses déclarations ; il reconnut qu’elles étaient dans leur ensemble fidèlement interprétées. Toutefois sa pensée, sur deux points qui n’étaient pas les moins importans, était dépassée. Il n’avait ni dit ni pu dire qu’il serait difficile à la Prusse de soutenir la légitimité de ses titres au droit de garnison, ni qu’ils fussent périmés par le seul fait de la dissolution de la Confédération germanique. Il avait fait entendre que cette thèse était soutenable ; il ne s’était pas engagé à ne pas la combattre.
C’était une première défaillance de sa mémoire, ce n’était pas la seule ; d’après lui, l’ambassadeur aussi s’était mépris en rapportant que le gouvernement prussien n’aurait rien à redire à la cession du Luxembourg, et que devant le fait accompli, sans même attendre une mise en demeure, il n’aurait plus qu’à retirer ses troupes. — M. de Bismarck ne pouvait admettre que la Prusse ne pût rien avoir à redire à un pareil arrangement. C’étaient les deux seuls points qu’il croyait devoir relever dans le compte-rendu de ses déclarations. Il est vrai que ces réserves remettaient tout en question. Mais, une fois formulées, il protesta en termes chaleureux de ses dispositions personnelles, elles n’avaient subi aucune altération. Il maintenait le conseil qu’il nous avait donné de nous entendre directement avec le gouvernement hollandais, et il affirmait que le roi ne voyait aucun inconvénient à cette démarche. Il pria l’ambassadeur de lui laisser la lettre. Il désirait la lire à sa majesté pour la familiariser avec les idées qu’il nous avait développées. Il était utile d’asseoir ses convictions et de lui prouver, par un document confidentiel écrit de la main de notre ministre des affaires étrangères, combien était manifeste notre désir de nous concerter avec lui.
Le lendemain, M. de Bismarck confiait à M. Benedetti que le roi,