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caisse princière, aux dépens d’une population réputée allemande, faisant partie du Zollverein, c’est plus qu’il n’en faut pour permettre à M. de Bismarck de réchauffer les passions nationales. La Prusse a d’ailleurs pour elle la possession, — beati possidentes, — et la déloger d’une forteresse qui passe pour être un rempart de l’Allemagne ne sera pas chose aisée. C’est autoriser M. de Bismarck à faire appel aux passions germaniques, et c’est lui faciliter les moyens de rallier tous les dissidens autour de son drapeau. » Aussi M. de Beust se refusait-il à nous conseiller d’entrer dans une voie qu’il tenait pour périlleuse. Il était tout prêt à s’entremettre à Berlin, persuadé qu’il y serait écouté, mais il ne croyait pas pouvoir nous prêter ses bons offices, s’il ne s’agissait que d’un arrangement séparé avec la Hollande.

La réponse de M. de Beust n’était pas ce qu’attendait M. de Moustier. Le ministre de l’empereur François-Joseph lui parut moins préoccupé des intérêts de l’Autriche que des sentimens germaniques dont il s’inspirait jadis, lorsqu’il était le ministre des affaires étrangères du roi de Saxe. M. de Moustier désirait s’assurer le concours du cabinet de Vienne, mais il ne se souciait pas de son intervention à Berlin. Il craignait que M. de Beust, en se mêlant intempestivement de nos affaires, ne fournît à M. de Bismarck, qui nous laissait agir, mais à la condition de tout ignorer officiellement, un prétexte pour tout remettre en question. Aussi M. de Moustier télégraphiait-il immédiatement au duc de Gramont qu’il aimait à croire que, dans aucun cas, l’Autriche ne nous rendrait le mauvais service de nous gêner dans les négociations que nous pourrions avoir à poursuivre sur des sujets infiniment délicats : « Je me borne, disait-il, à relever l’insinuation qui tendrait à considérer le Luxembourg comme territoire allemand ; rien de semblable n’a jamais été dit à Berlin, et nous verrions avec autant de surprise que de chagrin qu’on eût de pareilles idées à Vienne. » M. de Beust devait prouver avant peu à M. de Moustier combien il s’était mépris sur sa pensée.

Les impressions que M. Benedetti avait rapportées de Berlin, fortifiées d’ailleurs à tout instant par les encouragemens du comte de Goltz, ne pouvaient laisser de doutes ni à l’empereur ni à son ministre des affaires étrangères sur l’attitude qu’observerait la Prusse le jour où elle se trouverait en face du fait accompli de la cession du Luxembourg. Le moment de s’expliquer avec le roi de Hollande était donc venu. Le terrain était tout préparé à La Haye, le succès ne paraissait pas douteux. On transmit à M. Baudin le signal qu’il attendait pour agir. Il se mit à l’œuvre aussitôt. « Je quitte le roi, télégraphiait-il le 19 mars, à huit heures du soir. Il a commencé par dire très haut qu’il n’admettrait jamais de négociations qu’à