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sommé le gouvernement impérial d’enrayer la marche des événemens en Allemagne. Le patriotisme de M. Thiers était grand et sa clairvoyance merveilleuse, mais ses discours si prophétiques manquaient parfois d’opportunité. En signalant le danger lorsqu’il n’était plus temps de le conjurer, il ne faisait que l’aggraver ; il paralysait l’empereur dans ses résolutions, lui enlevait l’appui moral du pays et jetait l’irritation au dehors.

Dans les cercles officiels de Berlin, on s’efforçait d’atténuer le caractère et la portée de cette publication si inattendue. On disait que, pour sauver le prince de Hohenlohe, dont le maintien au pouvoir était pour la Prusse une question de sécurité, il avait fallu prouver aux chambres bavaroises que la situation faite au pays n’était pas son œuvre, mais bien celle du baron de Pfordten, l’ancien ministre dirigeant. On disait aussi, et le fait était exact, que M. de Bismarck, après s’en être toujours caché, avait fini par avouer à M. Benedetti, le 9 mars, au moment où il partait pour Paris, qu’après nos revendications sur le Palatinat hessois et bavarois, les cours méridionales avaient supplié la Prusse de garantir leur territoire. Mais ces explications ne se conciliaient pas avec le discours de M. Rouher. On ne comprenait pas comment le ministre d’état avait pu, le 16 mars, développer à la tribune la théorie des trois tronçons, si M. de Bismarck, comme on l’affirmait, avait avoué, le 9 mars, au gouvernement de l’empereur que la ligne du Mein était politiquement et militairement franchie. Le contre-coup des révélations de la Gazette d’état de Berlin se fit sentir immédiatement à La Haye. On s’avisa non sans effroi que les relations entre le cabinet des Tuileries et la cour de Prusse n’avaient pas le caractère de cordialité que la diplomatie française se plaisait à leur donner. « Le roi a malheureusement réfléchi, télégraphiait M. Baudin, le 22 mars ; il voudrait faire régler la cession du Luxembourg par les signataires du traité de 1839. Je réponds qu’il n’y faut pas songer et j’annonce d’avance votre refus. On voudrait le consentement de la Prusse d’autant plus explicite que la crainte de M. de Bismarck et de la guerre est ravivée par la publication du traité avec la Bavière. » Le 20 mars, on croyait toucher au port ; deux jours après, on était rejeté en pleine mer.

M. de Moustier essaya de calmer les appréhensions du gouvernement néerlandais ; il offrit de s’en expliquer à Berlin, tout en demandant au cabinet de La Haye de lui épargner cette démarche, car, disait-il, M. de Bismarck veut avoir la main forcée et se trouver par la cession devant un fait accompli. Tout ce qu’il put obtenir fut que M. de Bylandt, le ministre des Pays-Bas à Berlin, ne prendrait aucune initiative ; mais il avait l’ordre, si on lui parlait du Luxembourg,