Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/830

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du conseil. Il lui annonça, sans lui parler de l’incident qui avait surgi à La Haye, que nous étions entrés en pourparlers avec le roi des Pays-Bas, qu’on nous demanderait sans doute d’apporter l’assentiment de la Prusse, et qu’au lieu de se contenter des assurances qu’il nous avait autorisés à donner, on pourrait bien vouloir exiger une garantie directe du gouvernement prussien. M. de Bismarck répondit que le roi se préoccupait trop vivement de l’effet que la cession du Luxembourg à la France produirait en Allemagne pour qu’il lui fût permis d’y acquiescer ouvertement. Il parla des difficultés avec lesquelles il avait personnellement à compter, des ménagemens dont il avait à user non-seulement avec le roi, mais avec le parlement et les tendances de l’opinion publique. Il ne pouvait autoriser personne à affirmer que la Prusse était d’accord avec nous et qu’elle avait consenti à la réunion du Luxembourg à la France. Il se trouvait au contraire placé dans une situation telle que, si on l’interrogeait, il serait forcé d’en exprimer sinon des regrets, du moins « un certain sentiment de tristesse. » Il ne demanderait pas mieux que de faire dire à La Haye une parole déterminante, s’il pouvait compter sur la discrétion du roi des Pays-Bas ; mais il connaissait le caractère de ce prince et il savait que, pour se disculper, il n’hésiterait pas à tout divulguer.

« Mais que répondriez-vous, demanda M. Benedetti, si le roi grand-duc, au lieu de s’adresser au roi Guillaume, vous faisait personnellement interpeller ? — Je répondrais, dit M. de Bismarck, que le roi peut disposer de ses droits de souveraineté sans recourir à l’assentiment de la Prusse ; j’en dirais assez pour faire sentir, pour peu qu’on veuille comprendre, que nous laisserons faire : mais je calculerais mes paroles de manière à pouvoir déclarer au parlement, sans me démentir, que l’assentiment de la Prusse n’a pas été donné. Je répondrais, avec un certain sentiment de tristesse, que, si l’Allemagne avait lieu de regretter la cession du Luxembourg à la France, elle aurait mauvaise grâce d’en faire un grief au roi des Pays-Bas, qui était le maître de céder ses droits de souveraineté à qui bon lui semblait. »

De douloureuses circonstances avaient obligé M. Benedetti à quitter Berlin dans un de ces momens psychologiques qui décident du sort d’une négociation. À l’heure où il partait, tout semblait marcher au gré de nos souhaits. Les dispositions de M. de Bismarck se manifestaient cordiales, le roi et les princes se convertissaient insensiblement aux idées du ministre. Tout le monde à Berlin commençait à comprendre la nécessité de s’arranger avec la France. Il avait suffi d’une courte absence de l’ambassadeur, — une dizaine de jours à peine, — pour altérer ces bons sentimens. M. Benedetti