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de l’Allemagne tout entière, avec une puissante chaîne de forteresses, telles que Mayence, Coblentz, Sarrelouis, Rastadt et Luxembourg. La presse officieuse reproduisait aussi les articles qui, de Berlin, étaient envoyés aux journaux étrangers. C’était un moyen dont M. de Bismarck faisait un fréquent usage, et c’était sous le pavillon britannique qu’habituellement sa prose était réimportée en Allemagne.

La diplomatie française s’inquiétait des violences de la presse prussienne ; elle se rappelait le soin avec lequel, dès 1865, le cabinet de Berlin, lorsqu’il s’agissait de faire agréer ses combinaisons par le gouvernement impérial, avait travaillé à préparer l’opinion publique allemande à la cession éventuelle à la France du bassin de la Sarre, du Palatinat, et surtout de la Belgique et du Luxembourg. Elle cherchait en vain dans les organes inspirés des indices permettant de croire que M. de Bismarck eût souci de préparer le sentiment public à l’abandon du grand-duché. Pour ceux qui connaissaient la savante organisation de la presse prussienne, ce silence était inquiétant[1]. L’Allemagne, dans son ensemble, restait insensible aux excitations qui partaient de Berlin. Les populations du Midi et les populations annexées trouvaient étranges et dérisoires ces appels à leur patriotisme au lendemain de la guerre fratricide de 1866. Mais en Prusse les esprits se montaient de plus en plus sous l’influence du Reichstag.

Le parlement du Nord était une assemblée nouvelle, inexpérimentée, n’ayant aucune conscience de la responsabilité parlementaire ni aucun respect pour les convenances internationales. Grisé par les victoires de l’armée, il ne tenait compte d’aucun obstacle ; hautain et cruel, il conspuait et sifflait les députés de Francfort, qui protestaient contre les exactions dont leur ville était l’objet, et il rappelait au sentiment de leur déchéance les populations annexées en leur faisant entendre par l’organe de M. de Vincke le Vœ victis ! des temps barbares.

L’atmosphère de l’assemblée était fiévreuse ; il était difficile au gouvernement d’échapper à la contagion. M. de Bismarck était sur la brèche chaque jour ; il était l’objet des interpellations les plus contradictoires. Les uns lui reprochaient d’avoir subi les préliminaires de Nikolsbourg ; les autres appelaient sa politique une œuvre d’iniquité. La droite était exaspérée de ses compromissions avec le parti libéral ; elle le mettait en contradiction avec son passé ; elle répondait à l’impertinence de ses répliques par des provocations en champ clos. C’est au milieu de ces débats tumultueux et irritans qu’allait surgir la question du Luxembourg. Déjà, dans la séance du

  1. Dépêche de Francfort.