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alliés, il la savait impuissante. « M. de Bismarck a le génie de la guerre, disait un jour le général de Wilisen, car il a le sentiment de sa force, l’intuition de la faiblesse morale de ses adversaires et la connaissance exacte de leurs ressources. »

La réponse de La Haye était à prévoir : « La défiance qu’inspire M. de Bismarck est invincible, télégraphiait M. Baudin ; le roi redoute la situation qui lui est faite ; il veut que la Prusse sache qu’il n’a pas l’intention de céder le grand-duché sans son assentiment. M. de Zuylen s’offre d’aller lui-même à Berlin ; je ne l’y encourage pas. » En même temps que cette dépêche, M. de Moustier recevait de M. de Guitaud-Comminges, notre envoyé à Bruxelles, l’avis que le général Chazal allait partir pour Berlin, sous le prétexte d’étudier l’organisation militaire prussienne,-mais en réalité chargé d’une mission secrète. Que demandait le roi Léopold[1] ? Prévoyait-il la guerre ? prenait-il ses précautions ? La diplomatie est toujours en éveil lorsque, dans les momens de crise, elle voit apparaître des envoyés extraordinaires. Ils sont en général les précurseurs de graves événemens. C’est à Paris qu’ils accouraient aux temps glorieux de l’empire ; mais, depuis Sadowa, ils avaient brusquement changé d’itinéraire ; c’est à Berlin qu’ils allaient protester de leur inaltérable dévoûment.

Les renseignemens qui arrivaient d’Allemagne étaient tout aussi symptomatiques. Le langage de la presse officieuse devenait de jour en jour plus acre. Les journaux s’appliquaient à faire vibrer la fibre nationale, à démontrer aux populations annexées qu’elles devaient, en face de l’étranger, faire litière de leurs regrets, renoncer à de vains espoirs et se réunir sous le même drapeau. Ils cherchaient par les attaques les plus directes, sans épargner la personne des souverains, à briser les dernières résistances des cours méridionales. Ils disaient la France impuissante, ayant besoin de longues années pour arriver à son complet développement militaire. Ils la montraient isolée, sans appui, ne pouvant compter ni sur l’Autriche ni sur l’Italie, absorbée par les affaires d’Orient, divisée à l’intérieur, tandis que la Prusse, unie à la Russie, disposait de toutes ses forces, de celles de l’Allemagne du Nord, et avant peu disposerait

  1. Le général Chazal allait à Munich pour s’assurer si les états du Midi exécuteraient réellement leurs traités d’alliance, et à Vienne pour obtenir du gouvernement autrichien, en cas de conflagration, la garantie de l’intégrité du territoire belge. Le roi Léopold, attiré à Berlin par le mariage de son frère, le comte de Flandre, avec la princesse de Hohenzollern, se réservait, après une courte apparition à Paris, le soin de se mettre en règle avec la Prusse. — On a su depuis que le gouvernement belge était informé des péripéties que traversait la négociation, par les dépêches télégraphiques qui passaient sur son territoire, que le gouvernement néerlandais transmettait en clair, imprudemment ou intentionnellement, à M. Tornaco, le président du cabinet luxembourgeois.