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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/856

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belle saison que la seconde de ces espèces étendait ses migrations au sein des plaines boisées et tapissées d’une verdure renouvelée. Cette supposition est basée sur les mœurs des éléphans actuels d’Afrique, qui font de longs trajets pour passer d’un canton appauvri dans des régions plus fertiles. Les éléphans quaternaires ont dû également se déplacer selon les saisons et rechercher les bois méridionaux pendant l’hiver et les contrées boréales pendant l’été. C’est ainsi que les deux espèces ont dû se trouver en contact et qu’à la suite de la rivalité née de leur concurrence, le mammouth, demeuré maître du terrain, a dû forcer l’éléphant antique de se retirer définitivement au pied du versant méridional des Alpes et dans la vallée inférieure du Rhône, où lui-même n’a jamais pénétré, à ce qu’il semble.

Il est naturel de se demander la route que suivit le mammouth pour pénétrer au centre de l’Europe, où il n’était encore qu’un nouveau-venu assez longtemps après le commencement des temps quaternaires et où il ne domina exclusivement que dans le cours et surtout vers le milieu de la période. La réponse à cette question n’a rien de précisément difficile; elle résulte des faits eux-mêmes soigneusement observés, et puisque le mammouth est venu remplacer en Europe d’autres éléphans plus anciens que lui et qu’il s’y est multiplié à la faveur de l’abaissement de la température lors de l’extension des glaciers, cet animal a dû arriver d’une région mère, plus avancée vers le nord que l’Europe elle-même. Cette région mère aurait été son berceau dans un âge antérieur à celui qui le vit s’introduire sur notre sol, et il l’aurait quittée lorsque les progrès du froid auraient rendu sa terre d’origine trop rude à habiter, en diminuant les ressources alimentaires qu’il y avait rencontrées jusque-là. Cette patrie ne saurait être que la Sibérie, au nord de l’Altaï, berceau du mammouth et du rhinocéros a à narines cloisonnées, «  qui s’y étaient multipliés durant de longs siècles, probablement pendant le pliocène. Ce qui est certain, c’est qu’ils y ont laissé d’innombrables débris, témoignage irrécusable de leur séjour, dans un âge où la Sibérie conservait encore, avec un climat humide et relativement tempéré, une végétation luxuriante. Plus tard, le mammouth s’est éteint, lorsque la Sibérie a été elle-même envahie par les glaces, mais cette extinction, comme toutes choses, a été graduelle et partielle avant de devenir absolue.

Chassés peu à peu de l’extrême Nord, le mammouth et le rhinocéros durent être refoulés dans la direction du sud. Cette élimination date probablement de la fin du pliocène; elle coïncide peut-être avec celle qui, à la même époque, obligea l’éléphant « méridional » à abandonner le nord, puis le centre de l’Europe, et à ne trouver un refuge momentané que dans le sud de ce continent.