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serait vite conclue. — Ne voudriez-vous pas, pour l’avoir, reprit-elle, repasser la mer ? — De grand cœur, s’écria-t-il, ou il faudrait que je fusse bien malade. » L’entretien en resta là. Quelques jours plus tard, étant avec Smith, Catherine pensait que la reine Elisabeth ne se trouverait jamais en sécurité tant qu’elle ne serait pas mariée. Smith fut de cet avis : si la reine avait un enfant du duc, cela ferait disparaître toute crainte. Catherine répondit : « Je ne doute point qu’elle ne puisse en avoir cinq ou six. Smith ayant dit : « Vous croyez donc que le duc irait bien vite en besogne ? » le propos la fit sourire : « Je le désire infiniment, ajouta-t-elle, et, j’en suis sûre, de mon vivant j’en verrai au moins quatre. Puisqu’elle a agréé le duc d’Anjou, pourquoi celui-ci ne lui plairait-il pas ? il est non moins vigoureux et gaillard, et peut-être plus. La barbe commence à lui pousser : je lui ai dit dernièrement que j’en étais fâchée, de crainte qu’il ne soit plus petit que ses frères. — Les hommes, reprit Smith, croissent d’ordinaire à son âge, la barbe n’y fait rien. — Il n’est pas si petit, répliqua-t-elle, il est aussi haut que vous, ou peu s’en faut. » Alors Smith : « À cela près, je voudrais qu’il pût plaire à ma souveraine, » et il cita l’exemple de Pépin le Bref, qui n’allait pas à la ceinture de la reine Berthe. « Vous avez raison, fit-elle, c’est le cœur et le courage qu’il faut avant tout considérer dans un homme. » Et sur ces derniers mots, elle lui donna congé.

La ligue entre la France et l’Angleterre ayant été conclue le 4 avril 1572, il fut convenu que le maréchal François de Montmorency, accompagné de M. de Foix, irait en Angleterre et que l’amiral Lincoln viendrait en France pour échanger les ratifications. Le maréchal devait en outre être officiellement chargé de demander la main d’Elisabeth. Cavalcanti, envoyé en éclaireur, avait emporté un portrait très flatté du duc, que Leicester remit à la reine. Elle ne le trouva pas aussi bien que celui du duc d’Anjou ; il lui parut mieux néanmoins qu’elle ne le pensait. Elle dit à Leicester que les marques de la petite vérole qu’avait eue récemment le duc pourraient avec le temps disparaître ; mais que, n’ayant que dix-huit ans et elle trente-huit, tous les inconvéniens qu’elle redoutait avec le frère aîné seraient encore plus à craindre avec celui-ci.

Au XVIe siècle, comme de nos jours, la mode régnait en Angleterre. La grande attraction du moment, pour nous servir de l’expression consacrée, c’était l’arrivée de cette ambassade française, qui ne comptait pas moins de quarante gentilshommes choisis parmi les plus jeunes, les plus raffinés de la cour de Charles IX, qui passiit alors pour la plus élégante de l’Europe. Toutes les grandes dames d’Angleterre convinrent de se trouver à Douvres avec leur train au débarquement de ce brillant cortège. Le départ du maréchal ayant été retardé de quelques jours, les maris se plaignirent fort de