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pour s’en assurer. Il emporterait un portrait du duc afin d’en faire la comparaison. Voilà bien le but apparent de cette étrange mission, mais avant tout, il devait rendre compte à Elisabeth de la situation de la France. Des bruits inquiétans avaient couru en Angleterre sur la santé de Charles IX. « Son état maladif, dit dans ses Mémoires Marguerite de Valois, avoit réveillé bien des espérances, fait mettre en avant bien des projets. » Le nouveau roi de Pologne, dans cette triste prévision, retardait de jour en jour son départ. Si enfin il s’y décida, ce ne fut que sous la pression des menaces de Charles IX. « Mon frère, si vous ne partez pas par amour, lui avait-il dit, je vous ferai partir de force. » Laissant Charles IX à La Fère, Catherine accompagna son fils bien-aimé jusqu’à la frontière de la Lorraine ; en lui faisant ses adieux à Blaimont, ses dernières paroles furent significatives : « Vous n’y demeurerez guère. »

Le duc d’Alençon et le prince de Navarre avaient suivi Catherine un peu malgré eux. Au retour de ce voyage de Lorraine, leur évasion avait semblé possible. Maisonfleur, d’accord avec Elisabeth, y poussait vivement le duc. « Si vous ne vous hâtez pas de venir cette fois, lui écrivait-il, la reine aura lieu de croire que toutes les longueurs dont vous avez usé jusqu’à présent, tout le beau langage que vous lui avez tenu par vos lettres, n’ont été qu’autant de ruses pour la surprendre, et que tout s’est fait par le conseil de Madame la Serpente. » Cette fois encore, quoique bien concerté avec les chefs protestans, le projet de fuite échoua. Prévenue par Marguerite de Valois, Catherine prit de telles précautions, que toute évasion devint impossible. Charles IX avait entrevu le danger, il ne pensa plus qu’à se débarrasser d’un frère si remuant ; il fit remettre à Randolph un portrait du duc, et de peur qu’on en substituât un autre moins flatté, il le fit sceller dans un étui. Dès que Randolph fut rentré à Londres, La Mothe alla trouver Elisabeth et lui soumit les dernières conditions ; elle feignit de les accepter sous la réserve que le duc viendrait incognito. Cette dernière exigence sembla suspecte à La Mothe. En effet, lorsqu’il pria Elisabeth de fixer définitivement la date du départ du duc, elle s’y refusa, alléguant qu’une tentative venait d’être faite pour reprendre La Rochelle aux protestans. Charles IX et Catherine se hâtèrent de désavouer cette entreprise ; mais Elisabeth persista dans son refus. C’est qu’en réalité, renseignée par ses agens secrets, elle savait tout ce qui se tramait en France.

Favorisée par l’éloignement du roi de Pologne et par la maladie de Charles IX, une vaste conspiration enveloppait le pays tout entier de son invisible réseau. Les quatre Montmorency et le maréchal de Cossé en étaient. La Noue, en acceptant le commandement des révoltés du Poitou, avait annoncé qu’on attendait un plus grand chef. Ce