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de tant de malheurs. Contre toute attente, la majorité des états-généraux réclama l’unité de religion. Une plus grande déception attendait les protestans : ce fut la défection du duc d’Alençon. S’il rompait ainsi avec ses anciens alliés, c’est que, des propositions sérieuses lui étant venues du côté des Flandres catholiques, il s’était laissé séduire par la perspective d’une couronne ducale. Afin de se ménager l’appui d’Henri III, il accepta donc le commandement des forces destinées à agir contre les protestans, maîtres encore d’une partie de l’Auvergne.

Le jour même où le nouveau duc d’Anjou mettait le siège devant Issoire, Marguerite de Valois partait pour les eaux de Spa. En réalité, le but secret de son voyage était d’ouvrir une nouvelle voie à l’ambition de son frère.

Deux grands partis se partageaient alors les Flandres : le parti national et catholique défendant contre l’étroit despotisme de Philippe II ses anciens privilèges et ses franchises, et le parti protestant et démocratique s’appuyant sur la Hollande et la Zélande, dont le prince d’Orange était le chef. En face de ces deux partis reliés par la haine commune de l’étranger, Philippe II, découragé par de récens revers, et venant d’envoyer don Juan d’Autriche dans les Flandres, non pour combattre, mais pour traiter. Le 17 janvier, don Juan signait dans le Luxembourg l’humiliant traité qu’on appela l’édit perpétuel. Les franchises des Pays-Bas étaient reconnues, les droits de lever l’impôt remis aux états, qui en revanche promettaient de reconnaître don Juan pour leur gouverneur, lorsque les derniers Espagnols auraient évacué les provinces. Voilà où en étaient les Flandres au moment où Marguerite de Valois passa la frontière. Les populations saluèrent au passage cette gracieuse apparition. « J’allois, dit-elle, en litière faite à piliers doublés de velours incarnadin d’Espagne. » L’évêque de Cambrai, de la maison de Berlaymont, fut le premier à recevoir Marguerite à Cambrai. Il lui donna un bal magnifique, mais quitta la salle avant souper, se dérobant aux séductions d’une beauté si redoutable. Plus imprudens, M. d’Inchy, gouverneur de Cambrai, et le comte de Lalain, gouverneur du Hainaut, s’y laissèrent prendre. Ton Juan d’Autriche attendait la princesse un peu avant Namur ; celui-là, elle le croyait gagné d’avance. Peu de mois auparavant, don Juan avait traversé la France, et, ayant assisté sous un déguisement mauresque à un bal donné au Louvre, il s’était écrié : « Sa beauté est plus divine qu’humaine ; elle est plutôt faite pour perdre et damner les hommes que pour les sauver. » Don Juan était alors âgé de trente-deux ans ; sa taille, sans être haute, était bien proportionnée ; ses yeux bleus à la fois doux et vifs ; il avait grand air. En s’approchant de la litière de Marguerite, il descendit de cheval et lui présenta ses hommages.