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Assurément oui, et ici commence une évolution nouvelle de l’hypnotisation; je n’ai parlé que des patiens vulgaires, écoliers ou apprentis, à peu de chose près conformes au type commun. Avec ceux-là, les expériences renouvelées donnent des résultats monotones. L’expérimentateur se lasserait vite de constater le sommeil lourd et la catalepsie rigide; de temps en temps, il voit poindre au-dessus de cette uniformité des traits inattendus et éclatans. Comme, malgré lui, sa pente est vers la recherche du merveilleux, comme, en qualité d’inventeur, il éprouve le besoin incessant de découvrir, il se hâte de négliger les chemins battus, il aspire à étonner davantage des gens déjà surpris, mais dont l’étonnement s’épuise vite, et qui passent sans ménagemens du scepticisme à la croyance et de la conviction à l’indifférence. Braid semble s’être défendu longtemps, et après une lutte où il était peut-être impossible qu’il eût le dernier mot, il a succombé. J’entre donc dans le récit assez scabreux de la deuxième phase de sa vie d’hypnotiseur ou de sa seconde manière. Le contrôle me fait défaut. Autant il m’était aisé, autant même il entrait dans mon devoir d’enseignant de constater des faits précis, autant j’ai cru prudent de me défendre des subtilités, des arguties, des appréciations aventureuses. En fait de gens nerveux, le conseil populaire d’en prendre et d’en laisser est le seul sage; il est nuisible d’être un incrédule; il est dangereux d’être un adepte. Ce n’est pas à dire que je n’aie été témoin d’expériences sans nombre, que je n’aie assisté à des phénomènes si extraordinaires qu’ils déconcertent encore mon jugement : il s’agissait de cas d’exception, d’individus privilégiés chez lesquels, sous l’influence d’un sommeil artificiel spontané ou provoqué, se développaient des miracles de sensibilité ou des puissances intellectuelles inexplicables. Ces casus rariores ne se racontent pas : le médecin en reste le spectateur inutile, et quelle que soit à la longue la richesse de ses observations, il n’en tire aucun parti parce qu’elles ne se prêtent ni à un classement ni à une coordination scientifique.

Avec Braid, il en est autrement ; son ferme propos est de montrer que ces prétendues exceptions deviennent la règle entre les mains d’un homme qui sait manier l’hypnotisé, et cela sans moyens mystérieux, en ayant recours à des procédés définis, accessibles à tous et appelant un contrôle auquel jusqu’à ce jour tous les gens de science se sont refusés. Pourquoi? Nul ne le sait, mais on en trouverait la raison.

Lorsque le patient est dominé par le grand hypnotisme, que sa vue est annulée, ses yeux convulsés, ses sens inertes, ses membres raidis, comment le soustraire à cette dépression qui ne tarderait pas à devenir inquiétante si on n’en prévoyait l’issue? La découverte la