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XVIe siècle, « un soldat bien appointé, auquel on donne plus de privilèges et qui est aucunes fois honoré de quelque charge, au défaut de ceux auxquels elle appartient. » C’est à peu près le sens qu’il conserve encore, à ce qu’il semble, dans le vocabulaire de l’école : un soldat de première classe, dont on fera, le cas échéant, un fonctionnaire caporal. Il ne me paraît pas permis non plus d’insérer le mot Borda, comme signifiant « école navale » dans un Dictionnaire d’argot. Car il faudrait y mettre, à ce compte, les noms de Duguay-Trouin je suppose, ou de Château-Renaud, si l’on avait établi l’école des mousses ou l’école des canonniers sur des vaisseaux de ce nom ? Mais de telles façons de parler, qui sont façons naturelles, et métonymies légitimes, s’il en fut, ne peuvent à aucun titre figurer dans un Dictionnaire d’argot. Est-ce que l’on y fait entrer les mots de madapolam, de cachemire ou de damas ?

Il ne reste pas moins, en dépit de ces légères erreurs d’attribution, et le triage une fois fait, dans le Dictionnaire de M. Lorédan Larchey, comme dans le Dictionnaire de M. Lucien Rigaud, bon nombre de locutions de l’ancienne marque et du vieil usage. Aussi peut-on comparer sous ce rapport l’espèce d’intérêt que présente l’étude philologique de l’argot à l’intérêt, spécial sans doute, mais considérable, que présentent les patois. La répartition professionnelle des argots, si je puis parler de la sorte, n’offre-t-elle pas quelque chose d’analogue à la distribution géographique des patois ? Et comme les patois sont encombrés de provincialismes que la langue littéraire n’a pas accueillis, justement parce que le sens en était borné trop étroitement à leur province d’origine, pourquoi ne dirions-nous pas tout de même que les argots sont chargés d’idiotismes qui n’ont pas fait fortune, faute d’être assez clairement intelligibles en dehors de la corporation où ils ont pris naissance ? À ce propos, nous avions récemment l’occasion de feuilleter un petit livre, un Glossaire franco-canadien, qui venait de Québec en droite ligne. Et nous remarquions que beaucoup de mots qui sont aujourd’hui de l’argot le plus pur, — l’argot le plus pur est l’argot le plus grossier, — comme jaspiner, par exemple, dans le sens de murmurer, et comme margoulette, dans le sens de bouche ou de visage, y figurent, le premier comme importé du picard et le second comme importé du normand. Il est probable cependant que la langue littéraire continuera de les repousser. C’est ainsi que l’anglais contemporain repousse sous le nom d’américanismes des mots et des tournures qui datent pourtant, comme ces locutions canadiennes, du siècle où les Européens, faisant sur le sol d’Amérique leurs premiers établissemens, y apportaient, avec les institutions et les coutumes, la langue aussi de la métropole. Quelques autres mots, dans ce même Glossaire, ont la mauvaise physionomie des mots de l’argot classique.