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dans nos cercles, s’infiltrent dans notre presse, s’ingèrent dans nos débats et clabaudent contre notre diplomatie. On les tolère à Paris, on les recherche même, partout ailleurs on les reconduit à la frontière.

À aucun moment de son histoire, la France n’avait couru de si grands dangers. En 1870, elle eut du moins une armée de près de trois cent mille hommes à mettre en ligne. Elle avait un fusil supérieur au fusil à aiguille ; le matériel était en partie reconstitué, des forts détachés avaient été élevés à Metz ; on avait, tant bien que mal, combiné le mouvement et le transport des troupes. Mais, au mois d’avril 1867, nos portes étaient grandes ouvertes à l’invasion, et peut-être les officiers prussiens n’exagéraient-ils pas quand ils disaient tout haut qu’avant quinze jours ils seraient à Paris. » J’en suis réduit, me disait alors le général Dacrot, à fermer les portes de la citadelle de Strasbourg, sous prétexte de réparations aux ponts-levis, mais en réalité pour me mettre à l’abri d’un coup de main. » La guerre était imminente, et il n’y avait pas un canon sur les remparts, toutes les batteries étaient démontées ; les pièces et les affûts étaient entassés pêle-mêle à l’arsenal, il n’y avait ni munitions, ni approvisionnemens ; il aurait fallu plusieurs mois pour mettre la place en état de défense. L’événement devait prouver en 1870 que le péril que nous avions couru en 1867 n’avait pas servi d’enseignement[1].

L’empereur, après avoir poursuivi et déserté successivement toutes les alliances, se trouvait isolé à l’heure la plus difficile de son règne. Sa santé donnait à réfléchir ; l’avenir de sa dynastie apparaissait précaire, et on ne se lie pas volontiers avec un gouvernement sans lendemain, discuté et défaillant. D’ailleurs ce n’est pas sous le coup des événemens que se contractent les alliances, si elles n’ont pas été préparées de longue main et si elles ne reposent pas sur une conformité d’intérêts. Mais l’empereur pouvait du moins compter sur l’assistance diplomatique de l’Autriche et du gouvernement anglais. Déjà elle lui était assurée. Il était certain que l’action sympathique de la reine Victoria, si fidèle au culte du passé, et de lord Clarendon, l’ami de sa maison, ne lui ferait pas défaut. Il avait lord Cowley sous la main, et son ambassadeur à Londres, le prince de La Tour-d’Auvergne, avait su, par le charme de sa personne et la grâce légèrement caustique de son esprit, gagner l’amitié et la confiance du ministre des affaires étrangères, lord Stanley, aujourd’hui lord Derby. C’était beaucoup d’avoir l’appui moral de la reine Victoria et de son cabinet à opposer aux provocations de la Prusse, car s’il est une puissance au monde qu’elle tienne en sérieuse

  1. La Politique française en 1866. Voyez la Revue du 1er octobre 1878.