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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/101

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considération et avec laquelle elle ne se brouillera jamais à la légère, c’est la Grande-Bretagne. Elle redoute son obstination, elle connaît ses ressources, son influence sur l’opinion publique du continent, elle la sait capable, malgré d’apparens effacemens, de fomenter de redoutables coalitions.

L’Autriche, en intervenant, ne s’inspirait pas, comme le gouvernement anglais, de l’affection des deux souverains, ni des souvenirs d’une alliance glorieuse. L’empereur n’avait aucun titre, ni à ses sympathies, ni à sa reconnaissance ; il ne lui avait jamais fait que du mal ; il avait médité, poursuivi et consommé ses désastres. Il était permis au gouvernement autrichien de savourer le plaisir des dieux : il n’avait qu’à se croiser les bras. Mais c’était sacrifier l’avenir au passé ; il s’affaiblissait en laissant affaiblir la France, il se livrait à la Prusse et perdait sa dernière chance de relèvement.

L’empereur François-Joseph, dans sa détresse, avait appelé dans ses conseils un ministre à la fois étranger et protestant. Sa capacité n’était discutée par personne ; on avait dit de lui qu’il était un géant dans un entresol ; c’était le comte de Beust, l’ancien ministre dirigeant du roi de Saxe, qui, dans un jour d’orgueil, n’avait pas craint de dire qu’il fallait effacer de l’histoire d’Allemagne « l’épisode de Frédéric II. » Il était actif, remuant même, c’est du moins ce qu’on lui reprochait dans la vieille Allemagne. Il troublait inconsidérément le sommeil de la diète ; il y soulevait toutes les questions, il mettait aux prises l’orgueil autrichien avec la vanité prussienne. Il se souvenait de la maxime de Louis XI : « diviser pour régner. » Son rêve était la triade, le groupe des petits royaumes majorisant la Prusse ou l’Autriche, en passant de l’une à l’autre. Telle était sa politique ; mais s’il voulait la fin, il reculait devant les moyens. Il manquait à ce système de bascule un facteur indispensable, l’appui de l’étranger. Il le reconnut trop tard lorsque, après Sadowa, il courut à Vichy demander l’assistance d’un souverain impotent.

Le comte de Beust avait la passion de la dépêche, il maniait la plume avec élégance et dextérité, il se mirait dans sa prose au point d’adresser, au nom de la Saxe, des notes comminatoires à l’Angleterre. Il avait, comme le prince Gortchakof, l’amour de nos poètes, mais il était de l’école romantique ; aux imprécations de Camille et aux fureurs d’Achille il préférait la Ballade à la lune. Tant qu’il s’était trouvé renfermé dans une petite cour, ses qualités apparaissaient comme des défauts. Mais le cadre s’étant élargi, tout s’harmonisait et se proportionnait subitement. Ses grandes aptitudes avaient trouvé leur emploi : son activité et sa merveilleuse intelligence s’appliquaient à la régénération d’un grand état en décomposition. Il trouvait, dès la première heure, la formule que l’empereur François-Joseph cherchait en vain.