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l’exposition universelle à sa façon, par un cri de guerre. De tous les ministres forcés de s’expliquer, M. de Moustier était sans contredit le plus embarrassé. Il est des négociations qui ne supportent pas le grand jour, et jamais un gouvernement ne poussera l’abnégation et l’amour de la vérité jusqu’à avouer ses erreurs et ses déceptions. D’ailleurs, à l’heure où il était interpellé, le gouvernement impérial était tout aussi perplexe que les chambres sur l’issue de la crise. Il souhaitait et poursuivait la paix, mais il n’en était plus le maître. Il pouvait à son insu, d’un instant à l’autre, être surpris par la guerre. Les interpellations dans les momens critiques, lorsqu’une parole inconsidérée peut compromettre la paix, sont presque toujours une faute et parfois un crime. L’interpellation du mois de juillet 1870 a été funeste à la France, elle a affolé le gouvernement impérial, elle l’a précipité dans la guerre.

M. de Moustier évita le corps législatif. Il lut au sénat une déclaration calculée, incolore ; il lui apprenait ce que tout le monde savait, et il lui cachait ce que tout le monde voulait savoir. Il ne tenait pas à soulever des manifestations patriotiques ni à mettre les chambres françaises au diapason des chambres prussiennes. La circonspection lui était imposée ; le parti militaire, à Berlin, avait l’oreille dressée ; il n’attendait qu’un mot pour renverser la dernière et faible digue que M. de Bismarck opposait à ses ardeurs belliqueuses. Pour M. de Zuylen, la tâche était moins difficile ; il avait, il est vrai, engagé son pays, par crainte de l’Allemagne, dans une aventure périlleuse, mais il avait su virer de bord en temps opportun ; l’aventure avait tourné à son profit. La Prusse avait soldé sa défection à l’alliance française, par une renonciation, en bonne et due forme, à toutes les prétentions de la Confédération du Nord sur le Limbourg. Ce n’était pas un succès, c’était un résultat.

Le cabinet anglais ne fut pas moins sobre d’explications ; il aurait pu parler en toute liberté, car il n’était, à aucun titre, engagé dans le conflit ; mais il ne se souciait pas d’envenimer le débat et de compromettre par un langage trop indiscret le maintien de la paix, dont il était l’ami résolu. Mais il montrait, tout en approuvant la transformation de l’Allemagne, qu’il penchait plutôt vers la France que vers la Prusse, et il trouvait que le Luxembourg était une compensation territoriale bien minime en face des agrandissemens énormes que le roi Guillaume venait de réaliser.

C’est derrière les coulisses que se poursuivait le drame, en passant par mille péripéties tour à tour pacifiques ou menaçantes. La manœuvre de M. de Moustier avait troublé le jeu de la Prusse. Il devenait chaque jour plus évident que le cabinet des Tuileries ne prêterait pas le flanc, qu’il ne donnerait prise à aucune controverse,