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qu’il resterait impassible devant les provocations et que, fort de l’appui moral de l’Autriche et de l’Angleterre, il ne se laisserait pas entraîner au rôle de provocateur.

« J’engage nos ambassadeurs, écrivait M. de Moustier, à faire ressortir notre modération, à sonder l’étendue des préoccupations que la perspective d’une guerre européenne pourrait laisser à chacune des puissances et à chercher dans quelle mesure elles inclineraient à penser qu’il importe de ne pas laisser la France froissée et mécontente. »

M. de Bismarck, après avoir en vain tenté de résister à l’action des généraux s’appuyant sur l’opinion publique, avait renoncé à la lutte, et il allait, sans craindre la guerre, employer sa volonté à faire échouer les négociations que nous poursuivions avec les grandes puissances. La sommation qu’il avait adressée à la Hollande, la renonciation au Limbourg, concédée au cabinet de La Haye en échange de sa soumission, la continuation précipitée des arméniens, l’émission d’un emprunt, le langage de plus en plus irritant de la presse, tout autorisait à croire que la Prusse ne négligerait aucun effort pour empêcher l’ouverture d’une négociation générale et qu’en tout cas elle se refuserait à y participer.

« Nous nous trouvons en présence d’une situation, écrivait M. Benedetti, qui nous oblige, avant d’aller plus loin, à nous rendre un compte exact non-seulement des dispositions que les cabinets de Londres, de Vienne et de Pétersbourg apporteront dans la phase diplomatique, mais bien aussi de celles dont ils s’inspireront si nous devions recourir à l’emploi de la force. Nous devons nous mettre en mesure de ne laisser aucun doute dans leur esprit comme dans celui du cabinet de Berlin sur notre ferme résolution de triompher des obstacles que nous pourrions rencontrer. Il faut qu’on sache que nous sommes prêts à toutes les éventualités et que nous ne subirons pas un nouveau mécompte. Le succès, s’il peut être obtenu pacifiquement, est à ce prix. La Prusse reculera-t-elle ? Le roi, à l’âge où il est arrivé, osera-t-il se jeter dans de nouvelles aventures ? M. de Bismarck ne songera-t-il pas à la dernière heure au péril qui menace son œuvre ? Je ne saurais exprimer d’opinion. M. de Bismarck et le roi étaient, l’année dernière, les seuls Prussiens voulant la guerre contre l’Autriche ; ils pourraient se trouver seuls cette fois à vouloir la paix avec la France. Resteront-ils fidèles à leurs convictions si nous persistons à revendiquer le Luxembourg ? Je ne saurais le prévoir. M. de Bismarck n’a pas osé les affirmer devant le Reichstag et il ne craint plus de prendre une attitude belliqueuse. Et cependant il m’a ouvertement attribué, dans son dernier entretien, l’intention de provoquer une rupture entre les deux pays. J’ai relevé vivement ce propos, lui répondant que je n’avais à