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il nous rassurait sur l’issue des efforts que la cour de Berlin et la cour de Munich tentaient simultanément à Vienne.

À Berlin, M. de Beust tenait un autre langage. Il appelait avec une édifiante sollicitude l’attention du gouvernement prussien sur le danger de provoquer un aussi grand pays que la France ; il le priait de ne pas perdre de vue ses inépuisables ressources et surtout sa supériorité maritime, qui, disait-il ironiquement, condamnerait la Prusse à de puissantes diversions sur ses côtes et l’empêcherait de couvrir le midi de l’Allemagne. Il parlait avec affectation de la prospérité renaissante de l’Autriche ; il apprenait à M. de Bismarck, qui, on peut l’admettre, ne s’en réjouissait guère, que la question hongroise était résolue et que toutes les difficultés intérieures s’aplanissaient insensiblement. « Si nous voulions exercer une politique de représailles, disait-il d’un ton railleur, nous attiserions le feu, au lieu de nous appliquer à l’éteindre ; mais, en conseillant à la Prusse de se montrer accommodante, nous prouvons que nous sommes à l’abri de pareilles suggestions. M. de Bismarck préférerait sans doute à nos bons offices une alliance étroite. Mais il a l’esprit assez libre pour reconnaître qu’il nous devrait un prix proportionné à notre assistance et que nous ne sommes pas en situation de le stipuler. Ce serait à lui de nous l’offrir. Il nous en coûterait, fierté à part, d’élever aucune prétention qui serait de nature à amoindrir la grande situation que, depuis le traité de Prague, la Prusse a prise en Allemagne. »

C’était dire en termes voilés, mais transparens : Il vous plaît d’invoquer une solidarité que vous avez détruite ; mais avant tout, rendez à l’Autriche la situation qu’elle occupait jadis dans la Confédération germanique, et elle ne faillira pas à ses devoirs de confédéré. C’était dire aussi : Vous guettez les gens pour les abattre et les dépouiller, et vous vous imaginez, dès qu’il y va de votre intérêt, qu’il suffit d’un appel sentimental pour leur faire oublier qu’ils ont été battus et dépouillés.

Cette réponse, où l’ironie se mêlait à l’amertume, ne devait pas empêcher M. de Bismarck de parler de l’Autriche devant le parlement avec une sympathie déférente et d’y provoquer une manifestation enthousiaste. Il faisait ainsi d’une pierre trois coups ; il inquiétait la France, il rassurait les partisans de l’Autriche en Allemagne, et il encourageait les partisans de l’Allemagne en Autriche. C’était sa réplique à la réponse railleuse de M. de Beust.

On en revenait toujours à la même question : que veut M. de Bismarck ? Il semblait qu’il fût l’absolu dispensateur de la paix et de la guerre. C’était trop augurer de sa volonté et surfaire son influence. Ses dispositions variaient suivant les circonstances ; elles