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leur attente, au milieu des persécutions d’un monde pervers, les fidèles ont les dons surnaturels de l’esprit de Dieu, cet esprit qui anima autrefois les prophètes et qui n’est pas éteint. Ils ont surtout la lecture des livres révélés par l’esprit, c’est-à-dire la Bible, les Évangiles, les Lettres des apôtres, et ceux des écrits des nouveaux prophètes que l’église a adoptés pour la lecture dans les réunions publiques. La vie des fidèles doit être une vie de prière, d’ascétisme, de renoncement, de séparation du monde, puisque le monde actuel est gouverné par le prince du mal, Satan, et que l’idolâtrie n’est autre chose que le culte des démons.

Une telle religion apparaît tout d’abord comme étant sortie du judaïsme. Le messianisme juif en est le berceau. Le premier titre de Jésus, titre devenu inséparable de son nom, est Christos, traduction grecque du mot hébreu Mesih. Le grand livre sacré du culte nouveau, c’est la Bible juive ; ses fêtes, au moins quant au nom, sont les fêtes juives ; son prophétisme est la continuation du prophétisme juif. Mais la séparation entre la mère et l’enfant s’est faite complètement. Vers 180, les juifs et les chrétiens, en général, se détestent ; la religion nouvelle tend à oublier de plus en plus son origine et ce qu’elle doit au peuple hébreu. Le christianisme est envisagé par la plupart de ses adhérens comme une religion entièrement nouvelle, sans lien avec ce qui a précédé.

Si nous comparons maintenant le christianisme, tel qu’il existait vers l’an 180, au christianisme du IVe et du Ve siècle, au christianisme du moyen âge, au christianisme de nos jours, nous trouvons qu’en réalité il s’est augmenté de très peu de chose dans les siècles qui ont suivi. En 180, le Nouveau-Testament est clos ; il ne s’y ajoutera plus un seul livre nouveau. Lentement, les Epîtres de Paul ont conquis leur place à la suite des Évangiles, dans le code sacré et dans la liturgie. Quant aux dogmes, rien n’est fixé ; mais le germe de tout existe ; presque aucune idée n’apparaîtra qui ne puisse faire valoir des autorités du Ier et du IIe siècle. Il y a du trop, il y a des contradictions ; le travail théologique consistera bien plus à émonder, à écarter des superfluités qu’à inventer du nouveau. L’église laissera tomber une foule de choses mal commencées, elle sortira de bien des impasses. Elle a encore deux cœurs, pour ainsi dire ; elle a plusieurs têtes ; ces anomalies cesseront, mais aucun dogme vraiment original ne se formera plus.

La Trinité des docteurs de l’an 180, par exemple, est indécise. Logos, Paraclet, Saint-Esprit, Christ, Fils, sont des mots employés confusément pour désigner l’entité divine incarnée en Jésus. Les trois personnes ne sont pas comptées, numérotées, si l’on peut s’exprimer de la sorte ; mais le Père, le Fils, l’Esprit, sont bien déjà