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désignés pour les trois termes qu’il faudra maintenir distincts, sans diviser pourtant l’indivisible Jéhovah. Le Fils grandira immensément. Cette espèce de vicaire que le monothéisme, à partir d’une certaine époque, s’est plu à donner à l’Être suprême offusquera singulièrement le Père. Les bizarres formules de Nicée établiront des égalités contre nature ; le Christ, seule personne active de la Trinité, se chargera de toute l’œuvre de la création et de la providence, deviendra Dieu lui-même. Mais l’épître aux Colossiens n’est qu’à un pas d’une telle doctrine ; pour arriver à ces exagérations, il n’a fallu qu’un peu de logique. Marie, mère de Jésus, est elle-même destinée à grandir colossalement ; elle deviendra en fait une personne de la Trinité. Déjà, les gnostiques ont deviné cet avenir et inauguré un culte appelé à une importance démesurée.

Le dogme de la divinité de Jésus-Christ existe complètement ; seulement, on n’est pas d’accord sur les formules qui servent à l’exprimer ; la christologie du judéo-chrétien de Syrie et celle de l’auteur d’Hermas ou des Reconnaissances diffèrent considérablement ; le travail de la théologie sera de choisir, non de créer. Le millénarisme des premiers chrétiens devenait de plus en plus antipathique aux Hellènes qui embrassaient le christianisme. La philosophie grecque exerçait une sorte de poussée violente pour substituer son dogme de l’immortalité de l’âme aux vieilles idées juives (ou si l’on veut persanes) de résurrection et de paradis sur terre. Les deux formules pourtant coexistaient encore. Irénée dépasse tous les millénaristes en matérialisme grossier, quand déjà, depuis cinquante ans, le quatrième évangile, si purement spiritualiste, proclame que le royaume de Dieu commence ici-bas, qu’on le porte en soi-même. Caïus, Clément d’Alexandrie, Origène, Denys d’Alexandrie, vont bientôt condamner le rêve des premiers chrétiens et envelopper l’Apocalypse dans leur antipathie. Mais il est trop tard pour supprimer quelque chose d’important. Le christianisme subordonnera l’apparition du Christ dans les nues et la résurrection des corps à l’immortalité de l’âme ; si bien que le vieux dogme primitif du christianisme sera presque oublié et relégué, comme une pièce de théâtre démodée, aux arrière-plans d’un jugement dernier qui n’a plus beaucoup de sens, puisque le sort de chacun est fixé au moment de sa mort. Beaucoup admettent que les peines des damnés ne finiront pas, et que ces peines seront un condiment de la joie des justes ; d’autres croient qu’elles finiront ou seront mitigées.

Dans la théorie de la constitution de l’église, l’idée que la succession apostolique est la base du pouvoir de l’évêque, lequel est ainsi envisagé non comme un délégué de la communauté, mais comme le continuateur des apôtres et le dépositaire de leur autorité, prend