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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/115

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de plus en plus le dessus. Cependant plusieurs chrétiens s’en tiennent encore à la conception beaucoup plus simple de l’Ecclesia de Matthieu, où tous les membres sont égaux. — Dans la fixation des. livres canoniques, l’accord règne sur les grands textes fondamentaux ; mais une liste exacte des écrits de la Bible nouvelle n’existe pas, et les bords, si l’on peut s’exprimer ainsi, de cette nouvelle littérature sacrée sont tout à fait indécis.

La doctrine chrétienne est donc déjà un tout si compact, que rien d’essentiel ne s’y joindra plus et qu’aucun retranchement considérable ne sera plus possible. Jusqu’à Mahomet, et même après lui, il y aura en Syrie des judéo-chrétiens, des elkasaïtes, des ébionites. Outre ces minim ou nazaréens de Syrie, que les érudits d’entre les pères furent seuls à connaître, et qui continuaient encore au ive siècle de maudire saint Paul en leur synagogue et de traiter les chrétiens ordinaires de faux juifs, l’Orient n’a jamais cessé de compter des familles chrétiennes observant le sabbat et pratiquant la circoncision. Les chrétiens de Sait et de Kérak paraissent être, de nos jours, des espèces d’ébionites. Les Abyssins sont de vrais judéo-chrétiens, pratiquant tous les préceptes juifs, souvent avec plus de rigueur que les juifs eux-mêmes. Le Coran et l’islamisme ne sont qu’un prolongement de cette vieille forme du christianisme, dont l’essence était la croyance en la réapparition du Christ, le docétisme, la suppression de la croix. D’un autre côté, en plein XIXe siècle, les sectes communistes et apocalyptiques de l’Amérique font du millénarisme et d’un prochain jugement dernier la base de leur croyance, comme aux premiers jours de la première génération chrétienne.

Ainsi, dans cette église chrétienne de la fin du IIe siècle, tout a déjà été dit. Pas une opinion, pas une direction d’idées, pas une fable qui n’ait eu son défenseur. L’arianisme était en germe dans les opinions des monarchiens, des artémonites, de Praxéas, de Théodote de Byzance, et ceux-ci faisaient remarquer, avec raison, que leur croyance avait été celle de la majorité de l’Église de Rome jusqu’au pape Zéphyrin (vers l’an 200). Ce qui manque en cet âge de liberté sans frein, c’est ce qu’apporteront plus tard les conciles et les docteurs : savoir, la discipline, la règle, l’élimination des contradictoires. Jésus est déjà Dieu, et cependant plusieurs répugnent à l’appeler de ce nom. La séparation d’avec le judaïsme est accomplie, et pourtant beaucoup de chrétiens pratiquent encore tout le judaïsme. Le dimanche a remplacé le samedi, ce qui n’empêche pas que certains fidèles observent le sabbat. La pâque chrétienne est distinguée de la pâque juive ; et cependant des églises entières suivent toujours l’ancien usage. Dans la cène, la plupart se servent